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NEURONE

 

neurone

Cet article fait partie du dossier consacré au système nerveux.
Cellule de base du tissu nerveux, capable de recevoir, d'analyser et de produire des informations. (La partie principale, ou corps cellulaire du neurone, est munie de prolongements, les dendrites et l'axone.)

Neurone
Le neurone, ou cellule nerveuse, est l'unité fonctionnelle du système nerveux. Sa configuration cellulaire spécifique le rend capable de générer, de transmettre et/ou de recevoir des informations sous forme de signaux électriques (influx nerveux).
Le système nerveux est très complexe : ses quelque cent milliards de cellules (1011, à un facteur de 10 près) peuvent être classées en plus de 1 000 catégories, chacune comprenant plusieurs sous-classes selon des critères incluant leur taille, leurs arborisations, les contacts afférents ou efférents. Cette apparente complexité masque en fait une grande similitude fonctionnelle, la particularité de chaque cellule reposant principalement sur sa position dans un circuit donné.
On peut dès lors essayer de mieux comprendre le système nerveux à partir de propriétés simples des cellules qui le composent : les mécanismes qui donnent naissance aux potentiels d'action neuronaux, les modes de transmission synaptique, les interactions fondamentales entre neurones et cellules gliales.
En effet, les neurones sont entourés d'autres cellules : les cellules gliales (du grec gloios, « glu ») – elles ont longtemps été considérées comme de simples éléments de remplissage entre les neurones. On compte environ dix fois plus de cellules gliales que de neurones, et il est clair aujourd'hui que leurs fonctions, essentielles à l'activité neuronale, sont multiples.
Les compartiments du neurone

Corps cellulaire du neuroneCorps cellulaire du neurone
Le neurone est constitué de quatre grandes régions : le corps cellulaire, ou soma, les dendrites, les axones et les terminaisons présynaptiques. Chacune de ces différentes régions joue un rôle bien défini dans l'initiation et le transport de l'information.
Le soma, qui contient le noyau du neurone, en est le centre métabolique, car il comprend aussi toute la machinerie de synthèse de ses différents constituants. Du corps cellulaire partent deux sortes de prolongements, les dendrites et l'axone.
Les dendrites, qui se ramifient au point de former un arbre touffu autour du corps cellulaire (arbre dendritique), sont les voies par lesquelles l'information arrive. Elles sont le siège d'une activité métabolique intense et d'une synthèse protéique active : la microscopie électronique permet d'y distinguer des mitochondries en abondance, ainsi qu'un réticulum endoplasmique rugueux, porteur de nombreux ribosomes.

Axone
L'axone, prolongement au diamètre constant (de 0,2 à 20 μm), peut atteindre 1 m de longueur. Il est la voie privilégiée de sortie de l'information, et, contrairement aux dendrites, l'activité métabolique y est peu importante. L'axone transporte en revanche les macromolécules stockées dans des vésicules, ou organelles, au sein du corps cellulaire. Dans certains cas, ce transport permet une maturation de la molécule, importante pour sa fonction.
Près de sa terminaison, l'axone se divise en fines ramifications, les terminaisons présynaptiques. Ces dernières sont le site de stockage des neurotransmetteurs, qui vont permettre le transfert de l'information aux dendrites du neurone postsynaptique.
L’influx nerveux

Neurones et transmission synaptique des influx nerveuxNeurones et transmission synaptique des influx nerveux
L'une des propriétés essentielles du neurone est sa capacité à produire, puis à acheminer loin du corps cellulaire, une information sous la forme d'un groupe d'impulsions électriques, les potentiels d'action.
Décrite dès 1849 par le biologiste allemand Emil Du Bois-Reymond (1818-1896), cette aptitude résulte des propriétés de la membrane cellulaire du neurone et des protéines qu'elle contient. Les protéines membranaires des cellules de l'organisme peuvent être regroupées en cinq grandes familles : les pompes, les canaux, les récepteurs, les enzymes et les protéines de structure.
Les échanges d'ions entre le neurone et son milieu

Les pompes utilisent l'énergie produite à partir de la dégradation des sucres pour déplacer activement des ions et d'autres molécules contre leur gradient de concentration (un gradient est créé de fait par les différences de concentration d'une substance de part et d'autre d'une membrane ; celle-ci peut être traversée passivement – sans nécessiter de pompes – par les ions, du milieu le plus concentré vers le moins concentré, c'est-à-dire dans le sens du gradient). La composition ionique du milieu intracellulaire est différente de celle du milieu extracellulaire, et ce pour toutes les cellules de l'organisme. À l'intérieur d'un neurone, il y a dix fois plus de potassium et dix fois moins de sodium qu'à l'extérieur.
La pompe Na-K-ATPase échange trois ions sodium de l'intérieur contre deux ions potassium de l'extérieur. Ces échanges ioniques induisent une différence de potentiel au niveau de la membrane ; celle-ci a un potentiel d'environ 60 mV.
Le potentiel transmembranaire

Comme le milieu intérieur, concentré en protéines chargées négativement, est négatif, et que le milieu extracellulaire, choisi comme référence, est à zéro, le potentiel de repos d'un neurone se situe à − 60 mV. Cette valeur est prise comme base à partir de laquelle les variations traduisent l'apparition d'une information.
Toute augmentation (en valeur absolue) du potentiel transmembranaire (de − 60 à − 70 mV, par exemple) est une hyperpolarisation ; inversement, une diminution de potentiel (de − 60 à − 50 mV, par exemple) est une dépolarisation.
L'hyperpolarisation éloigne du seuil d'apparition d'un potentiel d'action, tandis que la dépolarisation est l'étape initiale pouvant donner naissance, si elle est suffisamment intense, à la « décharge » du neurone : le potentiel d'action. Lorsqu'un signal atteint le neurone, il en résulte une hyper- ou une dépolarisation.
Dans le premier cas, on parle de signal inhibiteur, tandis qu'il est excitateur dans le second. Le stimulus peut être de toute nature : lumière, bruit, odeur, étirement musculaire, molécule chimique libérée par un autre neurone, etc. Il en résulte une perturbation du potentiel de repos de faible amplitude (moins de 10 mV), locale et graduée : locale, car la résistance passive de la membrane limite la diffusion de la perturbation ; graduée, car le changement de potentiel est proportionnel à l'intensité de la stimulation ; on parle de potentiel de récepteur et/ou de potentiel synaptique.
L'ensemble des potentiels qui atteignent un même neurone est intégré au niveau d'une zone spécialisée de la membrane, appelée trigger zone, ou zone gâchette. C'est là que la sommation des hyper- et/ou des dépolarisations élémentaires se transforme ou non en un potentiel d'action.
La naissance du potentiel d'action

Le potentiel d'action est une dépolarisation ample (jusqu'à 110 mV), brève (1/1 000 s), générée selon la loi du « tout ou rien », et propagée activement le long du neurone et de l'axone sans diminution d'amplitude.
Dans le courant des années 1950, Alan L. Hodgkin, Andrew F. Huxley et Bernard Katz démontrèrent, sur l'axone géant de calmar, que la propagation de l'influx nerveux coïncidait avec un brusque changement de la perméabilité membranaire aux ions sodium (Na+) et potassium (K+). Au repos, la membrane est principalement perméable au potassium (on parle de conductance potassique), qui passe par des canaux dits « de fuite ». Hodgkin et Katz avancèrent l'hypothèse que l'influx nerveux modifie la conductance, car il entraîne l'ouverture brutale des canaux sodiques sensibles au potentiel de la membrane. Ces derniers s'ouvrent dès que la différence de voltage atteint un seuil de − 55 mV, et laissent entrer massivement le sodium dans le sens de son gradient ; cette entrée est à l'origine du potentiel d'action, le flux de sodium ouvre davantage de canaux Na+, facilitant ainsi le passage d'autres ions sodium.
La dépolarisation s'amplifie alors jusqu'à activer les canaux K+, sensibles à des valeurs de potentiel proches de 0 mV : le flux sortant de potassium compense le flux entrant de sodium. Le potentiel membranaire reprend sa valeur initiale. Les pompes Na-K-ATPase rétablissent les gradients initiaux au cours d'une phase dite « réfractaire », durant laquelle aucun potentiel d'action ne peut être produit.
La propagation de l'influx nerveux

À partir de la trigger zone, le potentiel d'action avance vers l'extrémité de l'axone à grande vitesse. Toutefois, en raison des pertes dues aux résistances de membrane, ce potentiel doit être régénéré de façon active tout au long de son parcours. Au cours de l'évolution, deux stratégies ont été mises en place par les organismes vivants pour augmenter la vitesse de conduction de l'information le long de l'axone.
Chez certaines espèces, l'augmentation du diamètre de la fibre a été poussée à l'extrême : il atteint 1 mm chez le calmar géant, et peut être vu à l'œil nu – ce caractère évolutif, à l'origine d'un encombrement spatial important, n'est pas compatible avec le nombre de neurones observés dans le cerveau des vertébrés supérieurs.
Chez les mammifères, la vitesse de propagation de l'influx nerveux est augmentée par la présence d'une gaine de myéline autour de l'axone ; cette enveloppe protéique et lipidique, qui s'enroule sur une dizaine de couches, est synthétisée par les cellules gliales spécialisées du système nerveux central, les oligodendrocytes, et par celles du système nerveux périphérique, les cellules de Schwann. La diminution de la résistance passive de la membrane est telle que le potentiel d'action est transporté cent fois plus rapidement : il avance alors de façon saltatoire, en bondissant le long de l'axone, d'un nœud de Ranvier (zone non myélinisée à la jonction entre deux cellules myélinisantes) à l'autre.
Le transfert de l’information d’une cellule à l’autre

Transmission de l'influx nerveuxTransmission de l'influx nerveux
Le transfert de l’influx nerveux d’un neurone à l’autre, ou, en fin de circuit, d’un neurone à une cellule effectrice (cellule musculaire par exemple), se fait au niveau d’une zone de jonction appelé synapse. Il existe deux types de synapses : les synapses chimiques et les synapses électriques. Les premières, majoritaires, font appel à des molécules messagers appelées neuromédiateurs.
→ synapse
Les cellules gliales, partenaires du neurone

Les oligodendrocytes et les cellules de Schwann, nécessaires à la transmission rapide du potentiel d'action, forment une gaine isolante, la myéline ; sa destruction par la maladie (sclérose en plaques) induit une grave perturbation de l'activité neuronale, qui peut conduire à la disparition du neurone.
Les cellules de la microglie, qui assurent la défense immunitaire du système nerveux, sont des cibles privilégiées pour les virus, comme celui responsable du sida. De plus, elles ont un rôle important lors du développement embryonnaire, en éliminant les cellules et les terminaisons surnuméraires, et lors des phénomènes de sénescence.
Les cellules endothéliales, qui bordent les vaisseaux cérébraux, sont responsables de la barrière hémato-encéphalique ; celle-ci isole le système nerveux de la circulation sanguine générale, le protégeant ainsi de l'arrivée de nombreux toxiques et agents infectieux.
Les astrocytes représentent la principale population gliale, et leurs rôles apparaissent aujourd'hui multiples. Lors du développement, ils participent au guidage et au positionnement des neurones. Ils possèdent une capacité de captation rapide du potassium extracellulaire, permettant une rapide repolarisation neuronale et la régénération du potentiel d'action. Ils approvisionnent en substrats énergétiques le neurone, isolé de la circulation sanguine. De plus, ils expriment de nombreux récepteurs pour les neurotransmetteurs libérés par les neurones, les rendant ainsi aptes à prendre une place – qui reste à mieux comprendre – dans les processus de transmission de l'information au sein du système nerveux.
Neurone et intelligence artificielle

Imiter le système nerveux au moyen d'une machine n'est pas une idée nouvelle, mais ce projet connaît aujourd'hui un fort développement grâce à l'informatique, l'ordinateur permettant de tester, de simuler les hypothèses émises par les chercheurs. Et c'est à l'échelle de la cellule nerveuse, ou neurone, que les chercheurs en neuro-mimétisme ont décidé de se placer pour réaliser la copie de la structure du système nerveux. L'ordinateur sert en particulier à faire fonctionner les modèles construits par les mathématiciens à partir des observations et des réflexions fournies par les physiologistes. Ce modèle mathématique du neurone, que l'on appelle le « neurone formel », est dupliqué pour constituer un réseau.
Pour en savoir plus, voir l'article neurone formel.

 

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ORIGINE DES NEURONES

 

Les origines des neurones chez l'adulte


neurones à volonté - par Alfonso Represa et Yvan Arsenijevic dans mensuel n°329 daté mars 2000 à la page 35 (1926 mots) | Gratuit
La découverte chez l'adulte, en 1992, de cellules souches capables de donner naissance à des neurones dans le cerveau adulte a suscité d'immenses espoirs. Leur utilisation pour soigner le cerveau reste encore tributaire de notre compréhension de leur biologie intime.

Les intestins, le foie, les os, le sang et de nombreux autres organes se renouvellent sans cesse. Une génération continue permet ainsi de remplacer les cellules défaillantes ou endommagées. On considérait encore récemment que le cerveau faisait exception à ce schéma. Il apparaît que ce n'est pas le cas, du moins pas complètement, puisqu'une neurogenèse a été mise en évidence chez plusieurs mammifères adultes voir l'article de H. Cameron p. 29. Quelle est l'origine de ces nouvelles cellules ? A l'instar de tous les autres tissus et du cerveau en développement, sont-elles produites par des cellules génitrices, dites « souches » ?

On connaissait depuis longtemps la présence de telles cellules dans le tissu nerveux de l'embryon ou du nouveau-né. Elles sont responsables de la genèse de la quasi-totalité des cellules du cerveau, à la seule exception des cellules microgliales. Capables, donc, de générer les quantités prodigieuses plusieurs milliards de cellules nerveuses et gliales*, on pensait que ces cellules souches cérébrales disparaissaient définitivement du cerveau chez l'adulte. En 1992, Brent Reynolds et Sam Weiss à l'université de Calgary Canada ont publié un article qui ébranla profondément cette idée. Ils ont réussi à isoler dans le cerveau de souris adultes des cellules qui, en culture, donnent naissance à d'autres neurones1. Cette découverte des cellules souches du système nerveux central chez l'adulte engendra une série de recherches extrêmement fructueuses.

Les premiers travaux ont visé à démontrer qu'il s'agissait bien de cellules souches. En effet, si le terme peut se décliner pour tous les tissus - on parle de cellules souches sanguines, de cellules souches osseuses, etc., la définition comprend trois points précis, qu'il s'agissait de vérifier. Les cellules souches doivent tout d'abord être multipotentes, c'est-à-dire pouvoir donner naissance aux principaux types cellulaires du système nerveux : les neurones et les cellules de soutien que sont les cellules gliales astrocytes et oligodendrocytes. Cette propriété a été montrée à partir de cellules souches du cerveau isolées in vitro , et par certaines études in vivo . Cependant, les neurones sont tellement différents les uns des autres qu'un consensus fait défaut quant à savoir si les cellules souches peuvent donner naissance à chacun d'entre eux. Les cellules doivent aussi posséder une capacité de renouvellement et d'expansion de leur population. On l'a montré in vitro chez la souris : la multiplication des cellules souches peut ainsi s'effectuer sur une période équivalente ou supérieure à la durée de la vie de l'animal. Enfin, elles doivent être capables de régénérer des tissus en cas de lésion ou de maladie chez l'adulte. C'est cette dernière propriété qui, si elle venait à être confirmée, conférerait aux cellules souches un intérêt thérapeutique considérable.

De nombreuses questions restent ouvertes. Ainsi, comment expliquer que la localisation des cellules souches chez l'adulte ne coïncide pas parfois avec les zones de neurogenèse ? Chez l'embryon des rongeurs, toutes les grandes régions cérébrales étudiées contiennent des cellules souches, mais, dans le cerveau de l'adulte, elles ne sont plus présentes qu'autour des ventricules* y compris l'hippocampe et, dans la moelle épinière, le long du canal épendymaire* photo ci-contre. Très récemment, des cellules génitrices des neurones ont été décelées dans le cortex et le nerf optique, mais leur nature reste mal définie2,3 . Curieusement, les seules régions du cerveau dans lesquelles a été observée une neurogenèse sont autres : il s'agit du bulbe olfactif, du cortex et de l'hippocampe. Dans le premier cas, les nouveaux neurones proviennent de cellules souches qui, originaires de la zone ventriculaire, ont migré jusque-là. Mais dans le second, l'origine des neurones reste à démontrer. Plus curieusement encore, aucun renouvellement neuronal n'a été observé dans la moelle malgré la présence avérée de cellules souches. Dans cette région, les cellules souches semblent être responsables de genèse exclusive des cellules gliales.

La disparition des cellules souches de la quasi-totalité du cerveau est difficile à expliquer. Dans une première hypothèse, les cellules souches sont considérées comme un vestige plus ou moins désuet et inutile, appelé éventuellement à disparaître au cours de la maturation. Dans une seconde hypothèse, les cellules souches disparaîtraient parce qu'une neurogenèse chez l'adulte serait néfaste au fonctionnement cérébral, sauf dans quelques régions voir l'article de Heather Cameron, p. 29. Seul un nombre limité de cellules souches serait nécessaire pour cette tâche.

Le rôle des cellules souches dans le cerveau adulte reste tout aussi énigmatique que leur localisation. En général, elles participent à la reconstruction d'un organe lors d'une lésion. Ainsi, lorsque la peau a subi une blessure, elles donnent naissance aux cellules qui permettront la cicatrisation. Mais dans le cerveau, il n'existe aucun indice que les cellules souches contribuent à la réparation du tissu nerveux. Une lésion cérébrale est ainsi généralement associée à une perte irrécupérable des neurones avec, selon les cas, une perte fonctionnelle. In vivo, les cellules souches ne semblent donc pas capables de générer de nouveaux neurones après une lésion. Elles peuvent pourtant se régénérer elles-mêmes, dans le cas où une partie de leur population est détruite, par exemple lors d'une irradiation expérimentale des animaux. Elles seraient également à l'origine des cellules gliales, qui permettent la reconstitution de la myéline des axones et des astrocytes qui sont générés après une lésion. Mais cette prolifération astrocytaire, qui forme ce qui est appelé la « cicatrice gliale », pourrait aussi, paradoxalement, empêcher dans certaines conditions la repousse des neurones, et donc avoir une action inhibitrice sur la régénération. Prévenir la naissance de ces cellules pourrait faciliter la régénération, une hypothèse à l'étude dans plusieurs laboratoires.

Quels sont les facteurs environnementaux expliquant ces capacités de régénération si différentes in vitro et in vivo ? Le développement du cerveau pendant l'embryogenèse et juste après la naissance sert de modèle d'étude pour comprendre le rôle des gènes, des facteurs diffusibles hormones, facteurs de croissance ou des contacts entre cellules dans la différenciation cellulaire. Les interactions sont complexes, et un même facteur peut ainsi avoir un effet différent selon son contexte. Par exemple, le facteur sonic hedgehog induit dans la moelle épinière la formation des motoneurones les neurones qui innervent les muscles striés ; dans le cerveau, il induit celle de neurones dopaminergiques. Les facteurs qui contrôlent la neurogenèse régulent aussi le développement des cellules souches chez l'adulte et, par exemple, la transformation de précurseurs soit en neurones, soit en oligodendrocytes. Ils induisent également la synthèse de tel ou tel neurotransmetteur.

La manipulation in vitro des cellules souches nerveuses par des facteurs diffusibles permet d'étudier et de contrôler partiellement cette différenciation. La greffe des cellules souches dans différentes régions du cerveau est également l'occasion d'évaluer le rôle de leur environnement photo ci-dessous. Lorsque des cellules souches embryonnaires sont prélevées dans l'hippocampe pour être greffées dans le bulbe olfactif, elles donnent ainsi naissance à des neurones qui ressemblent à ceux que l'on trouve dans ce dernier, et pas dans leur lieu d'origine4.

La recherche des mécanismes de différenciation a suscité une découverte sensationnelle : les cellules souches nerveuses peuvent générer des cellules sanguines ! Utilisant, chez la souris, un protocole proche de celui utilisé pour traiter les leucémies chez l'homme, une équipe italo-canadienne a tout d'abord détruit les cellules souches sanguines par irradiation. Elle a ensuite transplanté des cellules souches nerveuses dans la moelle osseuse. Ces dernières produisirent des cellules sanguines normales5. Dans le même esprit, de récentes études in vivo ont montré que les cellules souches du mésenchyme, qui se trouvent dans la moelle osseuse et génèrent les cellules précurseurs pour les os, le cartilage et le tissu adipeux, peuvent former des cellules musculaires. Ces expériences ouvrent non seulement de nouvelles perspectives thérapeutiques, mais posent la question du potentiel de ces cellules. N'importe quelle cellule souche pourrait-elle donner naissance à n'importe quel type de cellule, et en particulier à des neurones ? Si tel était le cas, il serait facile de générer des neurones en prélevant un bout de peau ou de mésenchyme tissu de soutien des organes par exemple ; elles pourraient combler le manque de tissu foetal nécessaire pour les transplantations et apporter une solution éthique. Or, aujourd'hui, si on devait utiliser les cellules souches pour greffer un patient, il faudrait probablement les prélever dans le cerveau au moment de l'opération, pour les réimplanter immédiatement dans la zone lésée, ce qui est loin d'être évident.

Quoi qu'il en soit, la possibilité de générer des grandes quantités de neurones et de pouvoir différencier les cellules avant de les transplanter confère un potentiel thérapeutique extraordinaire aux cellules souches. A long terme, la transplantation de ces cellules pourrait être utilisée lors de traumatismes ou d'accidents cérébro-vasculaires, ainsi que pour certaines maladies neurodégénératives voir l'article de Philippe Damier p. 38 et la rétine.

Pour l'instant, les études se cantonnent aux modèles animaux, le plus souvent des rats ou des souris. Il semble que, par exemple, des lésions du striatum induites par des substances toxiques, pour mimer la dégénérescence de la maladie de Huntington, ou une hypoxie, pour mimer un accident vasculaire, provoquent un changement de l'environnement cérébral peut être par la production gliale des facteurs trophiques qui favorise la différenciation et l'intégration des cellules souches transplantées.

Une première expérience a tenté, tout récemment, de montrer que les cellules humaines possédaient les propriétés génitrices qu'on leur connaît chez les rongeurs. Une équipe américaine a transplanté des cellules souches foetales humaines dans des cerveaux de souris mutantes, et a montré que les cellules humaines pouvaient compenser des défauts génétiques, notamment compenser l'absence d'une enzyme dans un modèle de la maladie de Tay-Sachs, ou remplacer une population cellulaire déficiente6. Cette étude révèle aussi que de nombreux signaux environnemen- taux qui induisent la différenciation et la survie des neurones pourraient être similaires entre les mammifères. Ces résultats encourageants sont encore très préliminaires : il reste en particulier à prouver que les neurones produits par les cellules souches ont les mêmes caractéristiques que les cellules à remplacer, que leur transplantation à long terme dans des modèles animaux restaure une fonction et, enfin, qu'elle ne produit pas de tumeurs.

Une autre approche à potentiel thérapeutique consiste à stimuler in situ les cellules souches de notre cerveau. Les travaux du groupe canadien de Derek van der Kooy à l'université de Toronto ont montré qu'après infusion d'un facteur de croissance l'EGF dans un ventricule latéral de souris, de nouveaux neurones peuvent être générés7. Les structures les plus réalistes à cibler sont le striatum et l'hippocampe parce qu'elles se trouvent proches de la source des cellules souches. La production de novo de cellules dans ces régions pourrait avoir une implication importante pour les maladies de Parkinson, de Huntington, d'Alzheimer, ou pour l'ischémie de l'hippocampe. La stimulation in vivo pourrait aussi s'appliquer à la repopulation des zones démyélinisées dans la sclérose en plaques. Cependant nous sommes encore bien loin de ces applications. Il faudra d'abord augmenter considérablement le nombre de neurones générés après stimulation in vivo , réguler sélectivement la production des types cellulaires nécessaires, contrôler leur migration vers leur cible et, puis tester leur aptitude à restituer une fonction perdue. Autant de points qui restent très méconnus...

Transplantation ou stimulation in vivo ? Les années à venir diront quelle sera la voie la plus prometteuse pour l'utilisation des cellules souches. Ces perspectives se dessineront aussi par rapport aux autres approches thérapeutiques en développement, comme la thérapie génique. Si la découverte des cellules souches nerveuses chez l'adulte suscite de nombreux espoirs, l'état d'avancement des recherches, qui n'ont après tout débuté que dans la dernière décennie, nous oblige pour l'heure à la prudence.

Par Alfonso Represa et Yvan Arsenijevic

 

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BIOLOGIE

 

Paris, 15 octobre 2015
A poils et à épines, un nouveau fossile de mammifère unique en son genre

Un poids entre 50 et 70 g, des dents à trois pointes acérées, une colonne vertébrale et des pattes fouisseuses semblables à celles des tatous, une crinière tout le long du dos et des épines similaires à celles du hérisson : voici à quoi devait ressembler, il y a 127 millions d'années, le mammifère nommé Spinolestes xenarthrosus, dont le fossile, parfaitement conservé, a été découvert en Espagne par une équipe internationale. Alors que cet animal possède des caractéristiques classiques de sa famille, comme le pelage, la présence d'épines bien particulières le rend unique en son genre et suggère que l'acquisition de poils épineux ne s'est pas faite progressivement au cours de l'évolution mais indépendamment et de manière distincte dans différentes lignées évolutives. Ces résultats, auxquels a contribué Romain Vullo du laboratoire Géosciences Rennes (CNRS/Université Rennes 1)1, sont publiés le 15 octobre 2015 dans la revue Nature.
Las Hoyas est un gisement du Crétacé inférieur (-127 millions d'années) situé en Espagne près de la ville de Cuenca. Ce dépôt sédimentaire, unique en Europe, contient une grande diversité de fossiles, emprisonnés dans un ancien environnement marécageux, semblable aux Everglades, en Floride. Il est fouillé depuis 1986 et a déjà fourni un grand nombre de fossiles de plantes aquatiques et terrestres, de crustacés, d'insectes, de poissons, mais aussi de crocodiles, de dinosaures et d'oiseaux primitifs. 25 ans plus tard, en 2011, le premier mammifère a enfin été mis au jour, complétant ainsi la structure de cet écosystème.

Ce fossile vient d'être décrit par les paléontologues. Ils en ont conclu qu'il s'agit d'une nouvelle espèce, baptisé Spinolestes xenarthrosus, appartenant à l'ordre des eutriconodontes, une lignée de mammifères disparus à la fin de l'ère Mésozoïque (- 252,2 à - 66,0 millions d'années) et à la famille des gobiconodontes. C'est un petit animal d'environ 50 à 70 g et de 25 centimètres de long, caractérisé par des dents à trois pointes acérées et des vertèbres du même type que celles des xénarthres2. Les proportions de ses pattes sont proches de celles d'animaux fouisseurs, suggérant un style de vie semblable à celui des tatous modernes, se nourrissant d'insectes et de larves. Les marécages de Las Hoyas permettant à la fois un enfouissement et une minéralisation rapide des corps, de nombreux morceaux de peau avec des poils et des épines ont été parfaitement conservés. A partir de ces restes, les chercheurs ont déterminé que Spinolestes possédait une crinière dense de poils longs (3 à 5 mm) de la tête à l'omoplate, des poils longs et fins sur la région dorsale et sur la majeure partie de la queue, de petites épines et quelques écussons dermiques (de petites plaques ovales sans poils, faites de kératine). Le reste de son corps était couvert par un pelage doux et dense.

L'analyse microstructurale de portions de pelage montre qu'il est composé d'un mélange de poils primaires relativement épais, de poils secondaires plus petits, et d'épines sur la région dorsale. Ces dernières possèdent une surface écailleuse et sont composées de poils primaires et secondaires modifiés, c'est-à-dire plus courts, rigides et en forme de bâtonnet, qui ont fusionné ensemble, un processus similaire à ce que l'on observe chez certains mammifères modernes tels que les hérissons ou les porcs-épics. A partir du cas de Spinolestes, les chercheurs estiment donc que les poils et les épines sont différenciés depuis le Crétacé inférieur. De plus, le fait que plusieurs spécimens d'eutriconodontes possèdent bien une fourrure dense mais dépourvue d'épines, fait de Spinolestes une espèce unique en son genre, dont l'évolution s'est faite indépendamment d'espèces à épines comme les hérissons et a abouti à cette surprenante convergence avec les espèces épineuses modernes.

Par ailleurs, le fossile possédant encore des bronchioles pulmonaires et des restes du foie, les chercheurs ont délimité l'emplacement du diaphragme de l'animal, une première preuve fossile que le système respiratoire unique des mammifères était bien fonctionnel dès le Mésozoïque.

Pour les chercheurs, la diversité des fossiles de Las Hoyas représente une clé pour comprendre la révolution évolutive du Crétacé, correspondant  à l'émergence de la flore et la faune qui constituent la biodiversité d'aujourd'hui. Ils poursuivent donc leur analyse de Spinolestes xenarthrosus pour mieux comprendre son mode de vie et sa place dans cet écosystème, figé depuis 127 millions d'années.

 

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RIFTIA PACHYPTILA , LE VER GÉANT DES ABYSSES

 


« Riftia Pachyptila », le ver géant des Abysses


spécial les frontières du vivant : animaux et végétaux - dans mensuel n°317 daté février 1999 à la page 90 (3474 mots) | Gratuit
La découverte au printemps 1977 de l'hydrothermalisme océanique profond et de sa faune associée, par 2 600 m de profondeur au niveau de la dorsale océanique des Galápagos, a remis en question en quelques secondes un dogme pourtant bien établi, l'impossibilité de toute vie en l'absence d'énergie solaire. Plusieurs années s'écoulèrent avant que soit identifiée la source d'énergie à la base de l'existence même de ces êtres vivants: l'hydrogène sulfuré, composé mortel pour la plupart des animaux. Ces organismes sont-ils les vestiges d'un monde perdu? Par quelles ruses de la nature peuvent-ils exploiter l'hydrogène sulfuré? L'analyse fine du métabolisme de Riftia pachyptila , ver dépourvu de bouche, de tube digestif et d'anus, vivant en symbiose avec des bactéries, nous entraîne dans les méandres d'un monde moléculaire insolite.

Le 17 septembre 1835, le H.M.S. Beagle , à son bord un jeune naturaliste de 26 ans, Charles Darwin touchait terre sur l'île située au sud-est de l'archipel des Galápagos. Tandis qu'il s'émerveillait de la diversité des pinsons et des nouvelles formes de vie qu'il découvrait, il ne se doutait certainement pas qu'à quelques encablures de là, dans l'obscurité la plus totale des abysses, vivaient des organismes encore plus incroyables. Cent quarante-deux ans plus tard, une mission océanographique dirigée par John Corliss de l'université de l'Etat d'Oregon, découvrit fortuitement des êtres vivants tout à fait étonnants, associés à des émissions hydrothermales par 2 600 m de fond sur la dorsale océanique des Galápagos. Leur découverte restera probablement l'un des événements majeurs de ce siècle dans l'histoire de l'océanographie biologique, car elle bouleversa en quelques instants nos connaissances sur la vie dans les abyssesi.

De nombreux environnements sur la terre sont considérés comme des déserts, car l'établissement de toute forme de vie y est impossible, sinon réduit, en raison de l'absence de facteurs essentiels comme l'eau, la lumière solaire ou une source de nutriments. Jusqu'en 1977, l'océan profond était considéré comme l'un d'entre eux, avec une biomasse animale de l'ordre de quelques grammes par mètre carré. Toutefois, John Corliss découvrit une étonnante communauté animale qui représentait une biomasse de plusieurs kilogrammes par mètre carré, constituée d'organismes le plus souvent inconnus. Parmi ces animaux, un attira l'attention des biologistes, qu'ils baptisèrent Riftia pachyptila, tube-worm en anglais voir l'encadré " Un ver des abysses en aquarium ". L'intérêt des scientifiques pour cette étrange créature venue des grands fonds était dû non seulement à son abondance et à sa couleur rouge qui tranchait d'une manière spectaculaire avec le noir ébène des basaltes, mais également à sa taille impressionnante. Riftia est un ver tubicole géant pouvant atteindre 2 m de long pour un diamètre de 4 à 5 cm. Il forme des groupes de plusieurs dizaines à plusieurs centaines d'individus, fixés sur le fond à la base des cheminées hydrothermales actives.

La présence d'une telle densité biologique demeura pendant quelques années une véritable énigme. En effet, tous les écosystèmes dépendent de la présence de producteurs primaires de la matière organique qui sera ensuite recyclée tout au long de la chaîne alimentaire. Appelés organismes autotrophes, ils sont capables de synthétiser par fixation de CO2 leurs propres composés carbonés et notamment des hydrates de carbone les molécules organiques. Les végétaux, qui réalisent cette transformation en utilisant la lumière solaire comme source d'énergie, sont qualifiés de photoautotrophes. Ils sont à la base de la grande majorité des écosystèmes terrestres et aquatiques.

Toutefois, la lumière solaire pénètre seulement jusqu'à 300 ou 400 mètres de profondeur dans cette zone de l'océan zone euphotique. La vie décroît rapidement avec la profondeur en raison de la faible quantité de matière organique disponible. Généralement, les organismes vivant dans les abysses dépendent de la matière organique provenant de cette zone euphotique. Toutefois, la majorité de cette matière organique est consommée et recyclée avant de parvenir dans les profondeurs, ce qui explique la pauvreté de la biomasse des zones abyssales. Il était donc fort peu probable que ce mécanisme permette la luxuriante biocénose* observée. Les biologistes étaient d'un seul coup confrontés à l'existence d'un monde parallèle indépendant de l'énergie solaire.

Plusieurs années passèrent avant que l'origine de cette biocoenose ne soit découverte. Tout d'abord, les prélèvements d'échantillons de fluides hydrothermaux, effectués par les équipes de John Edmond du Massachusetts Institute of Technology et Karen Von Damm de l'Université du New Hampshire, et leurs collaborateurs, révélèrent la présence de fortes concentrations en hydrogène sulfuré H2S autour des animaux. Quel-ques années plus tard, le groupe de Holger Jannasch à l'institut océanographique Woods Hole et celui de David Karl à l'université de Hawaii démontrèrent l'existence de bactéries autotrophes capables d'oxyder H2S dans l'environnement immédiat de ces organismes. Ces bactéries furent baptisées chimiolithoautotrophes parce qu'elles transforment le dioxyde de carbone en molécules organiques, en utilisant non pas l'énergie solaire mais l'énergie chimique de l'oxydation de H2S. Elles étaient à la base de la chaîne alimentaire à l'origine de cet écosystème. Malgré cette découverte, plusieurs questions embarrassantes demeurèrent sans réponse et stimulèrent de nombreuses recherches sur l'adaptation physiologique des organismes aux fortes concentrations en H2S1 voir l'enca- dré " Les milieux réduits riches en hydrogène sulfuré ". L'étude anatomique de Riftia révéla l'absence de système digestif, et par conséquent son incapacité à consommer des bactéries autotrophes. On savait par ailleurs que l'hydrogène sulfuré est un dangereux poison: des concentrations de l'ordre de la nanomole ou de la micromole par litre sont suffisantes pour bloquer les processus du métabolisme respiratoire, dit aérobie2. Dans un tel contexte, comment cet organisme était-il capable de survivre? A l'état adulte, Riftia est en effet dépourvu de bouche, de tube digestif et d'anus. Comment se nourrit-il? Son corps est divisé en quatre régions: l' obturaculum , le vestimentum , le tronc et l' opisthosome fig. 1. A son extrémité antérieure, la région de l' obturaculum se compose d'une structure centrale rigide ornée de filaments branchiaux. L'ensemble constitue une branchie ou plume , selon l'appellation anglo-saxonne, un organe d'échange respiratoire très efficace.

D'une couleur rouge vif, elle est directement exposée à l'environnement et peut rentrer intégralement dans le tube de l'animal, si celui-ci est dérangé. Le reste du corps du ver est protégé par un tube souple blanchâtre dont la composition a été élucidée par le groupe de Françoise Gaill de la station biologi-que de Roscoff. Directement sous la branchie se trouve une région musculaire, ou vestimentum , qui contient le coeur, les orifices génitaux et une série de glandes très actives. Cette partie permet au ver de s'ancrer fermement dans la région antérieure de son tube, et de sécréter les nouveaux composants de celui-ci durant sa croissance. Sous le vestimentum , le tronc représente la partie la plus longue de l'animal. Entre deux cavités coelomiques*, il contient les gonades et un organe verdâtre qui occupe la majorité de cette région et que l'on nomme trophosome corps nourricier. Finalement, à l'extrémité postérieure de l'animal se trouve une courte région segmentée, l'opisthosome. Cette région permet au ver de se fixer à la base de son tube et de sécréter la portion basale de ce dernier. Après la description de cet animal et de son anatomie par Meredith Jones du Museum national d'histoire naturelle de Washington D.C., les mécanismes permettant à ce ver de se nourrir restaient toujours énigmatiques.

Par la suite, les études du trophosome réalisées par le groupe de Colleen Cavanaugh à Harvard, indiquèrent la présence de cellules spécialisées contenant des bactéries sulfoxydantes, les bactériocytes. De plus, les travaux biochimiques des groupes de Horst Felbeck à l'institut océanographique Scripps et de James Childress à l'université de Californie à Santa Barbara révélèrent la présence dans ces bactéries d'une enzyme clé de la fixation du carbone chez les organismes autotrophes, la RuBP carboxylase3,4. Une partie de l'énigme était ainsi résolue. Riftia avait établi une coopération de type endosymbiotique* avec les bactéries. Riftia fournissait aux bactéries les éléments inorganiques indispensables à leur métabolisme oxygène, dioxyde de carbone et hydrogène sulfuré. Il les extrayait de l'environnement au moyen de sa branchie, et les transportait jusqu'aux bactéries par l'intermédiaire de son système circulatoire. En échange il recevait de la part des bactéries des molécules carbonées directement assimilables. A la suite de cette découverte, une nouvelle question se posait: comment Riftia pouvait-il fournir du H2S à ses endosymbiotes sans s'empoisonner?

Tout comme le cyanure, la toxicité de l'hydrogène sulfuré est due à l'inactivation irréversible des métalloprotéines: la cytochrome c oxydase, une enzyme clé du métabolisme aérobie*, mais aussi l'hémoglobine. Cette dernière est le transporteur d'oxygène le plus répandu dans le règne animal. Chez les mammifères, elle est contenue dans les globules rouges et leur donne leur couleur. On parle alors d'un pigment respiratoire intracellulaire. Chez d'autres animaux, comme Riftia , l'hémoglobine est dissoute dans le sang, et est donc extracellulaire. Les hémoglobines extracellulaires EHbs pour Extracellular hemoglobins de Riftia restaient cependant insensibles à des concentrations en H2S mortelles pour la plupart des organismes et continuaient à assurer leur fonction de transporteur d'oxygèneii. Riftia avait donc résolu trois problèmes majeurs.

Tout d'abord, il devait posséder un mécanisme particulier pour extraire le H2S de l'environnement et le transporter vers ses bactéries endosymbiotes. Ensuite, le H2S est une molécule hautement réactive et instable. En présence d'oxygène, elle est rapidement oxydée en thiosulfate S2O32­ ou en sulfure élémentaire S°. Par conséquent, le H2S devait être véhiculé par le système circulatoire tout en évitant d'être oxydé par l'oxygène dissous. De plus, le transport du H2S ne devait pas empêcher celui de l'oxygène par les hémoglobines, c'est-à-dire ne pas entrer en compétition avec l'oxygène pour le site actif de ces molécules, l'hème. Enfin, le transporteur d'hydrogène sulfuré devait lier le H2S avec une très haute affinité, afin d'éviter sa diffusion à travers les membranes cellulaires et l'empoisonnement du métabolisme aérobie dans son ensemble.

Les travaux de James Childress, entre autres, dévoilèrent l'implication essentielle des EHbs de Riftia . En effet, des expériences in vitro ,réalisées en même temps sur les hémoglobines et la cytochrome c oxydase de Riftia , montraient que les EHbs se combinaient avec une très forte affinité au H2S, évitant ainsi l'empoisonnement de la chaîne respiratoire. Par la suite, Alissa Arp et Charles Fisher qui étaient à l'époque dans l'équipe de Childress montrèrent que les EHbs de Riftia étaient capables de lier simultanément et réversiblement, sur deux sites différents, l'oxygène et l'hydrogène sulfuré5,6. Les EHbs avaient un double rôle: elles protégeaient, d'une part, Riftia contre les effets toxiques du H2S par sa fixation sous une forme stable et, d'autre part, elles permettaient à ce composé d'être transporté jusqu'au trophosome et aux bactériocytes sans qu'il soit oxydé fig. 1.

L'analyse des hémoglobines extracellulaires de Riftia nous a permis de montrer une originalité de ces molécules: la présence de résidus cystéines* libres7 voir l'encadré " Les hémoglobines extracellulaires de Ryftia pachyptila ". Ces derniers sont les seuls acides aminés possédant un groupement soufré terminal. Celui-ci se lie généralement à un autre groupe soufré pour former un pont disulfure. Isolé, il peut lier l'hydrogène sulfuré, et donc participer aux mécanismes moléculaires de la liaison du H2S par les EHbs de Riftia 8,9 . Après la fixation de l'hydrogène sulfuré sur les hémoglobines, sa libération serait provoquée par une acidification du sang dans les capillaires en contact avec les bactériocytes. Cette acidification serait due à la libération de protons résultant entre autre de l'oxydation du H2S par les bactéries. Nous avons identifié la présence de cystéines libres sur d'autres EHbs appartenant à des annélides* colonisant eux aussi des milieux réduits. Les cystéines de leurs EHbs étaient également capables de lier l'hydrogène sulfuré. Cependant, les deux espèces étudiées, Arenicola marina 10 et Alvinella pompejana 11 , n'établissaient pas de relation endosymbiotique avec des bactéries sulfoxydantes. La fonction d'un tel mécanisme devait donc résider exclusivement dans un processus de détoxication, et non dans un phénomène de transport du H2S. Des fonctions de transport et de détoxication, laquelle des deux était apparue en premier et à quel moment?

L'hydrogène sulfuré est un composé chimique très ancien qui était probablement présent sur notre planète avant même l'apparition de la vie, ainsi que dans l'océan primitif, en raison d'une importante activité volcanique. Il est vraisemblable que dans un tel environnement, l'hémoglobine extracellulaire originelle ait possédé les deux fonctions de transport de l'oxygène et de détoxication du H2S. Cette dernière, associée à la présence de cystéines libres, subsisterait actuellement sur les EHbs appartenant à des espèces d'annélides colonisant des milieux riches en H2S. Inutilisée chez d'autres espèces vivant dans des milieux non réduits, cette capacité aurait disparu, et leurs EHbs auraient perdu leurs cystéines libres comme c'est le cas chez Macrobdella decora annélide achète, Lumbricus terrestris annélide oligochète ou Tylorrhynchus heterochaetus annélide polychète.

Le fait de trouver des EHbs en dou- ble hexagone chez tous ces organismes, excepté chez les pogonophores, nous permet d'envisager la présence de ce type de molécule chez un ancêtre commun. La plus ancienne famille d'annélides connue à ce jour date d'environ 700 millions d'années. Par ailleurs, l'équipe de Moris Goodman de l'université d'État Wayne dans le Michigan a montré, en étudiant les homologies entre les chaînes de globines a et b de vertébrés, que ces chaînes avaient divergé par duplication d'un gène ancestral, il y a environ 450 millions d'années fig. 2.

Si l'on considère les homologies existant entre les chaînes de globines d'oligochètes, de polychètes, de pogonophores et de vestimentifères, qui varient entre 30 % et 80 %, nous avons proposé récemment en référence aux travaux de Goodman que tous ces groupes aient divergé il y a approximativement 450 millions d'années, d'un ancêtre commun annélidien apparu au Précambrien supérieur8.

Il semble improbable que la capacité de transporter le H2S ait existé primitivement et persisté chez Riftia et d'autres organismes apparentés vestimentifères et pogonophores, et soit apparue indépendamment pour évoluer en mécanisme de détoxication chez les annélides. Le mécanisme de détoxication présent initialement chez l'ancêtre commun aurait donc évolué en mécanisme de transport, parallèlement à l'apparition de la symbiose avec des bactéries chimiolithoautotrophes. Plusieurs éléments viennent conforter cette hypothèse. Tout d'abord, le stade larvaire des pogonophores et des vestimentifères est en tout point similaire à celui des annélides. La larve est dépourvue d'endosymbiotes et possède un tube digestif fonctionnel. Deuxièmement, la symbiose peut être considérée comme un caractère évolué qui n'a pu se mettre en place qu'en plusieurs étapes. Troisièmement, la découverte de dépôts hydrothermaux fossilisés contenant des formes de vestimentifères qui dataient du Paléozoïque et du Mésozoïque 570-98 Ma, soit environ 200 à 600 Ma après l'apparition du premier annélide polychète. Quatrièmement, selon un scénario crédible, l'hémoglobine aurait été à l'origine une protéine servant à piéger et à neutraliser l'oxygène toxique au métabolisme des bactéries strictement anaérobies* de l'époque, comme en témoignent encore aujourd'hui les hémoglobines de certains vers les nématodes. Ce n'est que par la suite que cette fonction de détoxication aurait évolué vers une fonction de transport de l'oxygène, avec la généralisation du métabolisme aérobie et l'apparition de grands organismes pluricellulaires. Enfin, des molécules de EHbs de petite taille V2 et C1 chez Riftia , mais dont la composition reste très proche de celle des EHb HBL V1, seraient apparues après la divergence des annélides avec les vestimentifères et les pogonophores. Après quoi, les pogonophores auraient perdu la possibilité de former des EHbs en double hexagone et n'auraient conservé que les petites EHbs. C'est sur la base de ces considérations que nous avons proposé de regrouper vestimentifères et pogonophores au sein d'une nouvelle classe d'annélides, les opisthochètes8. Ce nom fait référence à une caractéristique morphologique commune aux vestimentifères et aux pogonophores, à savoir la présence de soies sur l'opisthosome.

Quelle pourrait être l'origine de cette faune si particulière des fonds hydrothermaux? Est-elle apparue localement, ou s'agit-il d'espèces exogènes qui auraient migré ultérieurement? Sur les 464 nouvelles espèces colonisant les sources hydrothermales profondes qui ont été décrites à ce jour, 82 % d'entre elles n'ont été observées que dans ce type de milieu. Elles appartiennent à des ensembles taxinomiques très larges ordre ou embranchement, par exemple, et non à des groupes diversifiés en de multiples genres ou espèces. C'est pourquoi il a été avancé que cette faune ne serait pas le reflet d'une population primitive. Elle aurait trouvé tardivement refuge au niveau de cet écosystème, et n'aurait pas eu le temps d'évoluer pour former des groupes plus variés. Toutefois, une revue détaillée des différents groupes taxinomiques a révélé qu'ils avaient des origines très diverses. De nombreux groupes ont en effet une origine récente, tandis que d'autres seraient plus anciens et auraient survécu aux différentes catastrophes naturelles en se réfugiant dans l'océan profond ou dans des biotopes* riches en H2S.

Il est généralement admis qu'en milieu marin, l'émergence de groupes taxinomiques larges se produit en zone côtière ou sur le plateau continental plutôt qu'en zone abyssale, et ce n'est que par la suite qu'ils migrent vers le talus continental et la zone abyssale. Cette zone dite bathyale entre ­500 et ­3 000 m est souvent considérée comme la zone marine dont les conditions physico-chimiques ont très peu varié au cours des temps géologiques, échappant aux variations du niveau de la mer et de l'influence des zones anoxiques qui seraient apparues dans l'océan profond au Mésozoïque et au Cénozoïque. Néanmoins, le concept de spéciation dans l'océan profond ne peut être totalement éliminé, en raison de la découverte d'animaux appartenant à des familles ou des super familles très proches d'organismes qui ont été découverts à l'état de fossiles datant du Mésozoïque ou de l'ère tertiaire, incluant des espèces appartenant aux groupes des crinoïdes, des mollusques lamellibranches et gastéropodes, des crustacés, des bryozoaires et des brachiopodes.

Certains organismes colonisant les sources hydrothermales profondes ont ainsi une origine très ancienne et présentent des caractères primitifs très marqués. Il n'y a aucune raison de penser qu'il s'agit d'organismes récemment immigrés et qui ont rapidement évolué sur ces sites. Ces espèces reliques apparues au Paléozoïque et au Mésozoïque entre 500 et 100 millions d'années environ appartiennent respectivement aux groupes des mollusques gastéropodes et des crustacés cirripèdes. Par conséquent, ces organismes représentent-ils une anomalie dans une faune abyssale plus contemporaine? Le débat reste ouvert.

Verena Tunnicliffe de l'université Victoria au Canada a émis l'hypothèse de l'existence d'une faune profonde strictement inféodée à des biotopes riches en hydrogène sulfuré et qui aurait subi in situ une longue évolution. Il est vrai que l'océan profond semble abriter des organismes strictement inféodés à des zones riches en H2S, comme les sources hydrothermales profondes, les zones de suintements froids*, les carcasses de grands mammifères ou encore les épaves de navires chargés en éléments organiques subissant une décomposition bactérienne anaérobie. De plus, la présence de H2S a probablement joué le rôle d'une barrière physiologique dans la colonisation de ces milieux réduits. En effet, bien que les zones de suintements froids soient, par de nombreux aspects, similaires aux sources hydrothermales profondes, ce milieu est moins contraignant et par conséquent plus facilement accessible à la colonisation par des espèces venant de milieux divers, comme en témoigne le plus faible pourcentage d'endémicité* comparativement aux sources hydrothermales profondes.

Il est cependant impossible d'écarter l'hypothèse d'une colonisation plus tardive. En effet, en dépit de sa toxicité, le H2S est un composé chimique très fréquemment présent dans les sédiments des zones littorales et de nombreux organismes ont dû s'adapter à sa présence en développant des mécanismes physiologiques voir l'encadré ci-dessus. Par conséquent, les organismes qui colonisent actuellement les sources hydrothermales profondes ont eu tout le temps d'être pré-adaptés à coloniser cet environnement extrême. On peut trouver par exemple des espèces d'annélides polychètes appartenant au genre Nereis à la fois dans les zones littorales riches en hydrogène sulfuré et en milieu hydrothermal profond.

Enfin, on a longtemps cru que les relations endosymbiotiques entre des bactéries sulfoxydantes et certains invertébrés étaient un caractère spécifique aux sources hydrothermales profondes. Mais ce type de relation symbiotique a pu apparaître dans d'autres milieux réduits plus stables. Il aurait permis par la suite à certains organismes la colonisation de biotopes plus drastiques comme les sources hydrothermales profondes et les zones de suintements froids. L'un des arguments en faveur de cette théorie réside notamment dans la découverte d'un annélide oligochète marin littoral, Phallodrilus leukodermatus . Il colonise des sédiments contenant des concentrations en H2S variant entre 50 et 200 micromoles par litre. Les travaux de Olav Giere de l'institut zoologique de l'université de Hambourg ont montré que cet annélide était tout comme les vestimentifères dépourvu de tube digestif et qu'il avait développé des relations endosymbiotiques avec des bactéries chimiosynthétiques sulfoxydantes.

L'apparition de mécanismes physiologiques permettant à des organismes de tolérer ou d'utiliser le H2S comme source d'énergie a été probablement l'un des facteurs essentiels permettant la colonisation des fonds abyssaux, évitant ainsi l'extinction de certains groupes zoologiques. Elle a été rendue possible par l'évolution des hémoglobines extracellulaires appartenant aux annélides au sens large incluant les vestimentifères et les pogonophores vis-à-vis de l'hydrogène sulfuré: de la fonction de détoxication vers une fonction de détoxication et de transport. Dans ce contexte, les hémoglobines ont assuré un rôle essentiel de médiateur entre l'environnement et le milieu intérieur des organismes.

 

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