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CICÉRON

 

 

 

 

 

 

 

Cicéron
en latin Marcus Tullius Cicero

Introduction
Un des plus grands noms de la Rome antique, Marcus Tullius Cicero doit cette notoriété à l'étendue et à la variété de son œuvre : des discours d'une brûlante actualité ; une volumineuse correspondance où il commente au jour le jour son action publique, se livre lui-même tout entier, avec ses scrupules, ses incertitudes ; des écrits théoriques où il s'efforce de définir les fondements moraux et métaphysiques de son activité quotidienne. Il est le témoin, l'un des principaux acteurs, il fut enfin l'une des victimes de cette grande mutation qui chez les Romains aboutit alors- pour la première fois, semble-t-il, dans l'histoire humaine- à la constitution d'un État de type moderne, gouverné, administré par des hommes susceptibles de se sentir responsables, voué en principe au bien commun. Enfin, Cicéron est un des hommes de l'Antiquité sur lesquels nous pouvons de façon directe, immédiate, savoir le plus de choses ; en sa personne nous arrivons à voir vivre pendant une trentaine d'années un de nos congénères d'il y a deux mille ans : nous lisons ses lettres, nous entendons sa parole ; c'est une rencontre qu'il n'est pas donné de faire bien souvent.


Premières expériences (106-82 avant J.-C.)
Il est originaire d'Arpinum, petite ville des Volsques, aux confins du pays marse, dans les contreforts de l'Apennin. Depuis 188 avant J.-C., les citoyens d'Arpinum sont Romains de plein droit et participent aux élections de Rome ; mais, si loin malgré tout de la capitale- une centaine de kilomètres-, ils consacrent à leur vie locale une bonne part de leurs activités. Même quand il sera devenu le premier citoyen de Rome, Cicéron se sentira toujours un « provincial », lié de cœur aux intérêts et traditions de la petite bourgeoisie des municipes, un étranger vis-à-vis des grandes familles de la noblesse romaine, mais plein de réserve aussi et parfois désarmé devant l'impulsivité, la versatilité des foules urbaines.
Nous arrivons à entrevoir à travers les propos de son petit-fils la personnalité du grand-père de l'orateur. Un homme à l'ancienne mode, batailleur et processif, lié d'amitié ou en rapports d'estime avec M. Aemilius Scaurus, alors prince du sénat. La famille est de rang équestre, ce qui implique la possession d'une certaine fortune et une respectabilité qui, lors des recensements, rend possible l'inscription parmi les chevaliers romains. À la fin du iie s. avant J.-C., le grand homme d'Arpinum est Marius, homme de guerre remarquable qui vient presque simultanément de débarrasser les Romains des menaces qui pesaient sur leurs villes en Afrique (guerre de Jugurtha) et dans la plaine du Pô (invasion des Cimbres et des Teutons) ; avant de se laisser griser par ses succès et ses ressentiments, se faisant le protagoniste d'une abominable guerre civile, Marius lui aussi a commencé sa carrière dans le sillage de ces Romains éclairés, les Metelli, Scaurus, qui dans une cité divisée par l'assassinat de Caius Gracchus (121 avant J.-C.) essaient de refaire une unité nationale avec les chevaliers, la bourgeoisie des municipes et la partie la plus progressiste du sénat. Il apparaît aujourd'hui, beaucoup mieux qu'on ne le comprenait naguère, que Cicéron dans sa carrière a prolongé des traditions politiques d'origine locale et même familiale ; la connaissance de ces traditions restitue à son action une unité, une continuité qu'on a parfois méconnues.
Le prestige du grand-père- le père, homme malade, semble avoir eu une personnalité moins marquée-, la gloire qui rejaillit sur Arpinum du fait des succès de Marius, des liens de parenté avec quelques-uns des personnages les plus considérés de Rome, la pente qui portait vers le sénat les chevaliers d'origine municipale expliquent les études romaines et les premières ambitions de Cicéron. Techniquement, sa carrière sera celle des personnages qu'il a, tout jeune encore, choisis pour ses modèles, les orateurs M. Antonius et L. Crassus, ceux mêmes qu'il a fait revivre avec tant d'intensité comme interlocuteurs de son De oratore. Hommes qui, d'origine, n'appartiennent à aucun clan, ne peuvent compter sur aucune clientèle héréditaire mais à qui leur autorité morale et leur éloquence ouvrent la voie des magistratures. Hommes nouveaux, comme on les appelait à Rome. Politiquement, ils apportent dans les combinaisons étouffantes d'une démocratie urbaine à son déclin un peu d'air et d'humanité.
Pourtant, lorsqu'il doit se choisir un maître suivant l'usage des apprentis de ce temps, Cicéron (qui a pris la toge virile le 17 mars 90 avant J.-C.) ne s'adresse pas à un orateur mais à un juriste, un très vieil homme, Quintus Mucius Scaevola l'Augure (consul en 117 avant J.-C.), et il confirmera ce choix quand, après la mort de l'Augure, il se fera disciple d'un autre Quintus Mucius Scaevola, juriste lui aussi, et qu'on appelait le Pontife. Cicéron a toujours été féru de droit et il n'a cessé de défendre les études juridiques contre ceux qui les tenaient pour mineures. C'est qu'à cette époque et dans la cité romaine le droit n'est pas ce qu'il est devenu dans nos cultures de plus en plus différenciées en sciences plus spéciales. Il n'est pas affaire seulement de murs mitoyens, de règlements électoraux ou d'arguties constitutionnelles ; il touche à la religion et, comme elle, à toute la vie, tant publique que privée. Cicéron dira un jour qu'il est le lien de toutes les vertus jusqu'aux plus désintéressées. Précisément les Scaevola, dont l'un avait été l'élève du philosophe Panaitios, avaient entrepris de dominer, d'organiser en un corpus l'immense matériel formellement assez incohérent des traditions juridiques romaines. Cela ne pouvait se faire qu'en dégageant des idées maîtresses, des principes. À partir de données très concrètes, sédiments d'une expérience sociale séculaire, une réflexion ainsi menée s'acheminait naturellement vers l'élaboration d'une philosophie politique.
Dans la maison des Scaevola se prolongeaient certains souvenirs de générations plus anciennes. L'Augure avait épousé une fille de C. Laelius, l'ami intime de Scipion Émilien. C'est là que Cicéron a été introduit dans l'admiration de ce grand homme (mort en 129 avant J.-C.), familier de Térence et de Polybe, vainqueur de Carthage et de Numance, un des Romains de l'ancienne République qui, par son humanité, son sens des réalités italiennes, son intuition de la vocation universelle de Rome, l'étendue de sa culture, annonce le mieux l'empereur Auguste. Cicéron en fera le protagoniste de son traité De republica.
La guerre civile, lors des premiers mois de 87 avant J.-C., vient surprendre le jeune Cicéron au milieu de ces études. Guerre absurde, née tout entière de l'ambition déçue du vieux Marius, mais où se compromit sans doute définitivement la cause du sénat, parce que, en défendant l'ordre légal et la survie même du peuple contre un trublion que l'ivrognerie avait fini par rendre fou, les Patres et ceux qui se regroupèrent autour d'eux finirent par prendre figure de conservateurs et d'ennemis du peuple. Tandis que l'armée de Sulla repousse loin des terres grecques et romaines les entreprises sanguinaires de Mithridate, les populares, triomphant dans une Italie vide de troupes, pillent et massacrent. Pendant quatre ans, ils seront les maîtres. Tristes temps, où Cicéron voit égorger les meilleurs de ceux qu'il vénère ; il s'en souviendra toujours avec horreur : l'adversaire futur de Catilina, de César et d'Antoine a fait de bonne heure l'expérience de la tyrannie. À cette date, sa jeunesse, son insignifiance eussent ôté toute signification à des velléités d'opposition politique ; nous voyons même qu'en 83 avant J.-C. il participe à la création d'une colonie marianiste à Capoue. Mais l'essentiel de son soin, il le donne à la lecture et à l'étude. C'est alors qu'il compose son premier ouvrage, un traité de rhétorique où il est surtout question de la diversité des connaissances nécessaires à l'orateur pour qu'il en nourrisse ses discours : on l'appelle pour cette raison le De inventione.

Les grands succès oratoires (82-63 avant J.-C.)
Le retour de Sulla signifie le retour à la vie civilisée (novembre 82 avant J.-C.). Le premier discours de Cicéron, sur une affaire d'héritage, Pro Quinctio, passe sans doute à peu près inaperçu ou ne retient l'attention que de rares connaisseurs. Mais dès le second, Pro Roscio Amerino (80 avant J.-C.), l'orateur s'impose, et c'est le grand succès. Le jeune avocat y parle en effet avec la courageuse indépendance qui est celle du jugement moral et qui fera toujours sa force. Il s'agissait de défendre Sextus Roscius contre un gredin- nul n'en doute- qui avait réussi à s'insinuer dans l'entourage et la confiance de Sulla. D'autres eussent hésité ; mais ils ont peut-être encouragé Cicéron, sûrs précisément de sa loyauté à l'égard de la noblesse et qu'en dénonçant un abus il ne se laisserait pas glisser à dénigrer un régime auquel, pour l'instant, Rome devait la paix.
On s'est étonné qu'après un succès qui ouvrait devant lui les plus belles espérances Cicéron ait brusquement quitté Rome pour entreprendre un voyage en Grèce qui durera deux ans (79-77 avant J.-C.). Il faut l'en croire quand il nous dit que sa santé avait fléchi ; il voyait le moment où ses forces ne suffiraient plus à l'extraordinaire dépense physique entraînée par l'éloquence du type traditionnel. Il est allé en Grèce pour refaire sa santé, pour apprendre auprès de rhéteurs exercés les techniques d'une éloquence plus sobre, mieux adaptée à ses moyens. Il en a profité aussi pour des contacts avec les maîtres de la philosophie vivante, complément indispensable de ses studieuses lectures romaines.
Quand il revient à Rome, il est mûr pour la grande aventure d'une carrière politique. À la fin de 76 avant J.-C., il est élu questeur en résidence à Lilybée, chargé de l'administration financière de la Sicile occidentale. Ces fonctions, si différentes de ce dont il s'était jusqu'alors occupé, paraissent l'avoir amusé : il avait une extraordinaire facilité d'adaptation, appartenant à ces esprits qui sont toujours heureux de faire un peu de bien, de mettre un peu d'ordre, sur quelque plan que ce soit. Il ne se doutait pas que cette excursion sicilienne serait pour lui de si grande conséquence.
Le sort voulut en effet qu'au cours des années suivantes l'administration de l'ensemble de la Sicile échût à un homme rapace et négligent, C. Verrès. Dès novembre 72 avant J.-C., les plaintes commencent à affluer devant le sénat. La conviction des sénateurs fut bientôt faite sur la réalité des faits incriminés. Mais la majorité d'entre eux aurait souhaité éviter un scandale et remettre au successeur de Verrès le soin de réparer les injustices commises. D'autres, au contraire, pensaient qu'en dépit de leur bonne volonté les sénateurs n'arriveraient jamais à prendre sur eux de condamner l'un des leurs : il fallait les décharger de ce pouvoir exorbitant et les mêler dans les jurys à des citoyens issus d'autres classes. Chacun savait que c'était l'opinion des deux hommes qui devaient être consuls en 70 avant J.-C., Pompée et Crassus. C'est dans ce contexte politique que les Siciliens, désespérant d'obtenir justice par eux-mêmes, se souvinrent du questeur si honnête qu'ils avaient connu quelques années auparavant.
Cicéron se chargea de leurs intérêts, comme il s'était chargé de ceux de Roscius, avec sa spontanéité coutumière. Il était heureux de défendre une cause juste ; il avait conscience, lui, sénateur plaidant devant les sénateurs, de défendre l'honneur de son ordre, compromis aussi bien par la lâche indulgence d'un grand nombre que par les égarements d'un seul. Les prolongements politiques du procès n'étaient pas pour lui déplaire. Homme d'espérance, il ne pensait pas que les lois d'exception instituées par Sulla pour concentrer tout le pouvoir aux mains du sénat dussent indéfiniment rester en vigueur. Il imaginait une république plus saine, sans doute, qu'elle n'était vraiment. Il n'avait jamais aimé les castes trop restreintes ; il pensait que ce serait un bien pour tous si cette classe équestre dans laquelle il était né pouvait être associée de plus près aux responsabilités de l'État. De fait, quelques mois plus tard, une réforme judiciaire fut instituée, mais la condamnation et l'exil de Verrès avaient sauvé l'honneur de la justice sénatoriale.
Pour un homme politique du caractère de Cicéron, c'est une épreuve redoutable que de tomber dans une situation où l'on doit, coûte que coûte, défendre telles qu'elles sont les institutions qu'on tient pour indispensables. Cicéron était de ceux qui spontanément se donnent tort à eux-mêmes et à ceux qu'ils aiment, avouent leurs faiblesses et leurs fautes. Ses principaux actes politiques avaient été pour critiquer le régime sullanien, l'omnipotence du sénat ; alors que tous ses sentiments, sa manière d'être même le liaient aux classes responsables, on aurait pu le prendre pour un faux frère, un démocrate masqué. Et il est bien vrai que dans le procès de Verrès en particulier les dénonciations qu'il avait faites d'abus scandaleux pouvaient affaiblir le prestige du sénat. Parmi ceux qui l'applaudissaient, beaucoup songeaient à se servir de lui, de sa générosité, non pas afin de corriger des abus dont ils n'avaient cure, mais pour semer le trouble, discréditer un régime, prendre eux-mêmes le pouvoir. Cicéron en eut un jour brusquement la révélation ; il sut alors se retourner, faire face vaillamment, se défendre, défendre l'État à fond : ce fut l'affaire de Catilina, si importante dans le décours des dernières années de la République et qui marqua, dans la carrière de Cicéron, une inflexion décisive.
En 70 avant J.-C., on avait cru revenir heureusement aux traditions républicaines en restituant le tribunat de la plèbe, jadis supprimé par Sulla. Autour de cette magistrature devenue totalement anachronique dans une cité où depuis des siècles toute distinction avait été effacée entre le patriciat et la plèbe, un nouveau parti démocratique se constituait progressivement ; son programme était resté le même qu'au temps des Gracques : abolition des dettes, partage des terres, c'est-à-dire attribution arbitraire, à des citadins pauvres, de terres dont on dépouillait en fait les exploitants locaux, Italiens et provinciaux. L'âme du parti était un neveu de Marius, Jules César ; mais, en attendant mieux, on poussait en avant un aristocrate déchu, criblé de dettes, L. Sergius Catilina (108-62 avant J.-C.). En 64 avant J.-C., il parut possible de le hisser au consulat (pour 63 avant J.-C.), mais Cicéron fut élu, contre lui. Les populares essayèrent d'abord de prendre leur revanche sur le plan politique en embarrassant le nouveau consul dans des querelles rétrospectives (procès de C. Rabirius) ou dans des affaires de corruption électorale (procès de Murena), puis ils déposèrent un projet de loi agraire dont on espérait bien faire le principe d'une brouille entre le peuple et lui. Cicéron déjoua ces astuces avec l'aisance et l'autorité que lui donnaient son prestige d'orateur et son indépendance d'esprit.
En juillet 63 avant J.-C., Catilina décida de recourir aux grands moyens, insurrection armée, émeutes, assassinats ; des incendies simultanément allumés dans tous les coins de Rome créeraient une panique favorable à la réalisation du dessein des conjurés. Ils avaient des intelligences dans beaucoup de milieux. Cicéron se conduisit alors avec le savoir-faire d'un avocat habitué à rassembler des renseignements. Il sut reconnaître l'importance de ce que d'autres eussent dédaigné comme vaines rumeurs. Jetant dans la balance le poids de sa parole, il réveilla, convainquit ses auditeurs. Les discours (les Catilinaires) qu'il prononça en ces circonstances (novembre-décembre 63 avant J.-C.) devant le peuple et le sénat sont des chefs-d'œuvre d'adresse politique ; Catilina, désemparé par une violence verbale presque torrentielle, perdit pied, quitta Rome où il eût été, faute de preuves positives, à peu près inviolable et signa l'aveu de son crime en rejoignant en Etrurie une armée insurrectionnelle. Quelques jours plus tard, les principaux de ses complices restés à Rome se trahirent eux-mêmes par l'envoi de messages imprudents. Le sénat confia à Cicéron mission de défendre la République ; Cicéron les fit exécuter. C'était sans doute outrepasser la limite des pouvoirs que la tradition romaine attribuait à un consul ; quand il sortit de charge, Cicéron, invité, selon l'usage, à jurer qu'il n'avait en rien attenté aux lois de la cité, préféra jurer qu'il avait sauvé la République. Fière parole, qu'il paya un peu plus tard (en 58-57 avant J.-C.) de dix-huit mois d'exil.
Pourtant, la fermeté de Cicéron venait de procurer à Rome quinze ans de paix civile. Le parti populaire, sous la forme révolutionnaire qu'il avait connue depuis les Gracques, était définitivement enterré. César n'en reprendra quelque chose que quinze ans plus tard, en 49 avant J.-C., mais agissant en son nom propre, sans plus se réclamer d'un parti, et en ouvrant une nouvelle ère de guerres civiles.


L'époque de la réflexion (63-49 avant J.-C.)
Cicéron a toujours considéré l'année de son consulat comme une année très importante de l'histoire de son pays, et comme le sommet de sa destinée personnelle. Il avait raison. Mais ce fut aussi le terme de sa carrière politique : dans l'époque qui commence ensuite, il n'a plus sa place. Il pouvait se faire entendre dans une assemblée, voire dans des assemblées très différentes, peuple, sénat, jurés, tribunaux : il inspirait confiance, il entraînait ses auditeurs par sa générosité et sa conviction. Les vingt années qui ont suivi le retour de Sulla étaient en somme favorables à une action de ce style. Mais à partir de 63 avant J.-C., dans une cité où s'affrontent deux ou trois hommes sourds à toute autre voix que celle du lucre ou de l'ambition, il est désarmé, parce qu'il n'a pas de clientèle à lui, pas d'armée, et qu'il est, relativement aux autres protagonistes, pauvre. Entre un Crassus fort de son incalculable richesse, un Pompée auréolé de ses victoires en Asie, un César qu'appuiera bientôt l'armée des Gaules, il ne peut presque plus rien. Pour ces hommes qui essaieront naturellement de s'accorder, en attendant, chacun, le moment de dévorer l'autre, il est le gêneur, l'irréductible, celui qui refuse d'entrer dans le jeu.
Il aurait pu renoncer à toute vie politique. Il ne l'a pas fait parce qu'il tenait à ses idées, parce que de loin en loin un succès oratoire, des manifestations populaires de fidélité lui donnaient l'impression que sa vie n'était pas complètement finie. Là encore, il voyait juste, tout en s'exagérant sans doute un peu ses possibilités d'action. Les attentions de Pompée, de César à son endroit montrent bien que les plus puissants ne tenaient pas à l'avoir trop visiblement contre eux. D'ailleurs, il n'arrivait pas à concevoir qu'ils étaient en réalité ennemis de toutes les valeurs auxquelles lui-même il tenait. Il admirait certaines parts de leur œuvre et notamment ces grandes entreprises de conquête qui, en Asie, en Gaule, faisaient tant pour la gloire du nom romain. Parfois, il se demandait si, laissant à ces hommes de proie le devant de la scène, il ne pourrait pas les inspirer, guider leurs entreprises.
Une attitude de ce genre ne peut être au principe d'un comportement politique bien rectiligne. Cicéron fait parfois ce qu'on croit qu'il ne fera pas. Il a soutenu habituellement Pompée, le moins dangereux ; il n'a jamais rompu avec César ; souvent il s'est reproché de chanter des palinodies. Au moment où il s'engage publiquement d'un côté, nous voyons dans ses lettres que son cœur penche en fait pour l'autre. Rien de vil dans tout cela ; mais des alternatives d'espoir, de nonchalance ou de découragement, une certaine capacité de se griser, à demi consciemment, de ses propres paroles. Sa vanité, tant brocardée par les modernes, nous apparaîtrait sous un jour différent si nous reconnaissions qu'elle témoigne, d'une certaine manière, pour les valeurs spirituelles qu'il a conscience de représenter (raisonner, avoir raison, persuader) face aux tenants du droit de l'épée. Cicéron était aussi très impressionnable, de ceux qui gardent indéfiniment leur aversion à ceux qui les ont personnellement blessés, comme ils restent fidèles d'ailleurs à ceux qui, dans une passe critique, leur ont marqué de l'amitié. De là des invectives furibondes, souvent injustes, à l'égard des responsables de son exil (Clodius, Pison) ou l'exaltation d'amis assez médiocres comme P. Sestius ou Milon.
Dans ces années d'une lutte inégale, le meilleur de son activité est donné à la composition d'œuvres de réflexion, le De oratore (55 avant J.-C.), le De republica (54-51 avant J.-C.), le De legibus (52 avant J.-C.), auxquelles on joindra le discours Pro Sestio (56 avant J.-C.).
Les ouvrages théoriques de Cicéron se présentent ordinairement sous la forme d'entretiens dialogués. Cicéron, sans nul doute, a voulu rappeler Platon, mais sa formule est plutôt celle qu'avaient mise en œuvre les successeurs d'Aristote et les philosophes de la Nouvelle Académie. Il s'agit de conférences entre des personnages particulièrement qualifiés et derrière lesquels l'auteur s'efface. Point de Socrate ici qui domine de haut ses interlocuteurs ; quand l'œuvre s'achève, on ne peut pas toujours dire qu'une thèse a été établie, mais le problème dont on a débattu a été élargi, il est mieux éclairé ; à chaque lecteur, s'il le peut, d'aller un peu plus loin. Les personnages mis en scène sont assurément moins primesautiers que ceux des dialogues platoniciens, mais ils ne sont pas moins vrais. Cicéron nous introduit dans une société hautement civilisée, où même entre amis la conversation garde toujours une certaine tenue, où l'on n'hésite pas à exposer un peu longuement sa pensée parce qu'on sait le partenaire capable de la suivre sans ennui ni fatigue. Il a déployé beaucoup d'art pour donner à chacun son visage personnel ; il eût d'ailleurs été surprenant que l'orateur, si habile à portraiturer amis et ennemis, clients et comparses, manquât ici de sens psychologique.
Presque tous ces livres ont été écrits très vite, comme peut le faire un praticien de la parole publique mais aussi un homme dont la vie intérieure est d'une extraordinaire richesse et qui vit constamment en dialogue avec lui-même. Certaines pages semblent reprises d'un auteur plus ancien, un classique de la philosophie ou un des maîtres de la génération précédente. Mais, quand une comparaison est possible entre Cicéron et telle de ses sources présumées, il apparaît presque toujours combien on s'égarerait en faisant de lui un élève docile ou un adaptateur indifférent. On ne comprend vraiment ces livres qu'à partir du moment où l'on discerne pourquoi Cicéron a eu envie de les écrire ; ils se rapportent à des problèmes que son action, son expérience politique ont suscités devant lui. Ce n'est pas d'une tradition d'école qu'il reçoit l'objet de ses recherches ; la référence aux sources doctrinales ne vient qu'en un second temps.
Le cas est particulièrement net pour le De oratore. L'ouvrage contient des pans entiers dont on retrouve l'équivalent chez les Rhetores graeci. Mais un théoricien de l'art du bien-dire, un vrai pédagogue, comme voulut être Quintilien, serait mieux ordonné, plus aisément exploitable. À prendre l'œuvre comme un traité de rhétorique, on ne peut manquer de penser que Cicéron nous égare dans l'immensité d'un programme sans limites. Son orateur idéal paraît l'idéal même de l'homme complet, et alors pourquoi avoir choisi de l'appeler orateur plutôt que légiste ou philosophe ? C'est qu'il a essayé de décrire ici le type d'homme qu'il voulait être, un homme dont la vocation, certes, est bien universelle, mais dont le seul instrument pour agir est la parole ; il appellera donc son livre De l'orateur. Cette perspective, très personnelle, explique également certaines lacunes : il existe dans la tradition platonicienne une critique de l'éloquence, indifférente à la vérité, dispensatrice d'opinions, souvent maîtresse d'erreur et corruptrice ; seul le philosophe qui renonce à vouloir plaire mérite d'être cru. Cette problématique est à peu près étrangère à Cicéron. C'est que, dans la Rome où il réfléchit, les périls viennent d'ailleurs, de l'or, du prestige militaire ; le seul contrepoids possible, c'est l'éloquence précisément, l'éloquence qui, aux yeux de Cicéron, s'incarne en un Cicéron sûr de l'honnêteté de son cœur. Le problème du démagogue à la mode athénienne n'existe pas pour lui.
La République de Platon était une utopie conduite d'une manière déductive à partir d'une anthropologie ; la société y est évoquée comme une projection agrandie, une illustration de ce qui est dans l'homme. La République de Cicéron est une réflexion sur l'histoire romaine ; elle met en scène Scipion Émilien dialoguant avec des amis, en 129 avant J.-C., à une date où Cicéron lui-même n'était pas encore né. La restitution certes n'est pas pure fantaisie ; mais, entre un passé admiré et les problèmes actuels, une piété intelligente a tissé tant de liens qu'on ne sait plus très bien qui parle, des gens d'autrefois ou de l'homme d'aujourd'hui. S'inspirant de l'exemple d'Émilien, Cicéron y définit les caractères d'un nouveau type d'homme d'État : à l'intérieur du corps uni des sénateurs et des chevaliers, il faut qu'apparaissent des principes (les premiers), peut-être un princeps, dont l'autorité réduirait les antagonismes de classes et de personnes, cimenterait l'entente de tous. Hors de toute magistrature définie, sans pouvoirs réguliers, par leur seule autorité personnelle. Sans de tels hommes, ou un tel homme, les forces de division l'emportent inévitablement. Cicéron n'a sans doute jamais cru qu'il pouvait, lui seul, tenir ce rôle ; à Rome, l'autorité, même morale, suppose un prestige militaire qu'il n'a jamais eu. Mais il a dû penser un moment que Pompée pourrait être ce rassembleur, cette clé de voûte de la cité. En fait, l'homme, pas assez intelligent, lui manqua, et ce fut l'échec des espérances de Cicéron, comme la fin de la république. Pour que quelque chose puisse renaître à Rome, il faudra attendre que l'emploi, à peu près tel que l'avait conçu Cicéron, trouve un jour son titulaire : ce devait être l'empereur Auguste.
Assurément, le personnage d'un princeps dans un régime organisé en classes (peuple, chevaliers, sénat) aboutit à les dévaluer quelque peu. La pensée de Cicéron dépasse les cadres de la république sénatoriale à un moment, il faut bien le dire, où le sénat, désemparé par la montée des généraux, n'est plus à la hauteur de sa tâche. La théorie de cette nouvelle république est faite dans le Pro Sestio : l'assiette de l'État n'est plus, comme au temps des Verrines, ou des Catilinaires, la Concordia ordinum, l'entente des sénateurs et des chevaliers, mais « l'accord de tous les gens de bien », consensus bonorum omnium. On peut trouver que la définition de ces boni viri est parfois un peu vague. Mais le vague n'est sans doute que dans les mots ; dans la réalité, ils formaient un ensemble suffisamment concret et reconnaissable pour que ses adversaires le désignent comme une caste (nationem). Comme il arrive si souvent dans les périodes troublées, les gens sérieux, les hommes de caractère émergeaient, se faisaient reconnaître les uns des autres, au-delà de toute définition sociologique et idéologique.
Les derniers combats (49-43 avant J.-C.)
Mais, dans une république sans tête, la paix de la cité n'est jamais que précaire. En marge des efforts de Cicéron, Pompée (qui lui échappe, même quand il feint de vouloir s'appuyer sur le sénat) et César (qui pousse son jeu à peu près seul, comptant sur sa seule armée) se laissent acculer, au terme d'intrigues incohérentes et aveugles, à une guerre de grande envergure. En janvier 49 avant J.-C., César franchit le Rubicon ; il entre dans Rome les armes à la main. Pompée se retire en Grèce pour épargner la guerre à l'Italie, pour attirer César loin de ses bases et l'affaiblir. Cicéron, avec la plus grande part du sénat, s'est joint à lui. Le plan stratégique pouvait réussir ; une bataille unique, dans la plaine de Pharsale en Thessalie, le fit s'effondrer d'un seul coup (48 avant J.-C.).
Cicéron était à Thessalonique quand lui parvint la nouvelle du désastre. Deux mois plus tard, bravant les ordonnances équivoques et cauteleuses de César, il rentrait en Italie. Au péril de sa vie, certes, mais comptant qu'on n'oserait pas le faire tuer. En octobre 47 avant J.-C., il était revenu à Rome.
L'optimisme, comme si souvent chez lui, avait repris le dessus. Fort de ce qui lui restait d'autorité morale, il semble avoir conçu le dessein de « réconcilier » avec César le plus grand nombre possible des hommes du parti que Pompée avait entraîné dans sa défaite. Ainsi, le vide politique dans lequel le dictateur songeait à établir son pouvoir absolu eût été rapidement comblé, et les périls de tyrannie, contenus. Cette politique fit long feu, et Cicéron s'en aperçut bien vite : César n'était pas homme à se laisser investir. Nous pouvons lire deux discours prononcés à la fin de 46 avant J.-C., le Pro Marcello, le Pro Q. Ligario. Ce sont des textes étranges : on a beau se dire que sous certains régimes tous les moyens sont bons qui peuvent soustraire un accusé à la rancune d'un maître tout-puissant ; on a beau se dire que le meilleur moyen de désarmer un dictateur peut être de faire devant lui l'éloge de sa clémence pour l'obliger à se montrer ressemblant au portrait, ces discours laissent une impression de malaise, surtout quand on lit dans la correspondance ce qu'étaient les véritables sentiments de l'orateur. À la décharge de Cicéron, il faut dire qu'en 46-45 avant J.-C. d'autres malheurs fondent sur lui ; après trente ans de mariage, il se sépare de sa femme pour convoler avec une jeunesse, aux sourires attristés de tous ses amis ; trois mois plus tard, il perd une fille tendrement aimée. Le vieil homme a l'impression que de sa vie ne restent plus que des décombres. Jamais il ne s'est senti si seul et si inutile.
Comme il avait déjà fait après son exil, il se tourne une seconde fois vers la philosophie pour y retrouver assurance et consistance. Mais ce ne sont plus tout à fait les mêmes problèmes qui le requièrent ; la politique y cède le pas à la morale et à la métaphysique. Il écrit coup sur coup trois œuvres maîtresses : sur les fins de l'action humaine (De finibus) ; sur les devoirs (De officiis) ; sur le bonheur et l'immortalité de l'âme (Tusculanae Disputationes). Œuvres littérairement inférieures à celles de la première période. On ne peut échapper à l'impression que Cicéron se hâte de mettre de l'ordre dans ses idées, transcrivant des pages entières d'auteurs où il croit découvrir ce qu'il cherche, visant surtout, pour les points essentiels, à établir des certitudes ; d'où une obstination têtue, et qui semble ne pas reculer devant le sophisme, pour tenir avec les stoïciens les plus extrémistes que la vertu suffit à faire le bonheur de l'homme ou, au-delà même des affirmations platoniciennes, que l'âme est sûrement immortelle. On comprend bien qu'à ce moment de sa vie de tels problèmes n'ont pas seulement pour lui un intérêt académique. De même les problèmes religieux : trois livres sur la nature des dieux, deux sur la divination ; le point capital est de savoir s'il existe une Providence, si les dieux s'occupent des hommes. En ces domaines, les curiosités de Cicéron, ou ses inquiétudes, se sont éveillées un peu tard ; il ne peut donc nourrir ces traités de la riche expérience intérieure qui le rend souvent si profond quand il parle de la morale, ou du fondement du droit, ou de l'essence du lien social. On le trouve ici superficiel assez souvent et un peu scolaire. Sachons lui gré cependant d'avoir écrit les seuls traités de théologie que nous ait laissés l'Antiquité classique ; pour l'histoire des idées, pour l'histoire des religions, ils constituent un trésor de documents presque inépuisable.
C'est encore dans ces temps douloureux que Cicéron- telle était sa gaieté, sa vitalité foncière- a écrit, pour deux petits traités, l'un sur la vieillesse et l'autre sur l'amitié, ses pages les plus lumineuses et les plus sereines. Ce n'est pas sans raison qu'on les proposait jadis aux enfants, au début de leurs études, comme le visage le plus souriant de la sagesse antique. Le De amicitia a d'autres titres à notre attention : transposée en théorie du pur amour, la thèse cicéronienne d'une amitié désintéressée qui ne se propose d'autre fin qu'une communication spirituelle et le resserrement d'un lien de nature a exercé sur le Moyen Âge et, à travers les docteurs médiévaux, sur la pensée moderne, une influence considérable.

Pourtant, le vieil homme ne devait pas mourir dans son cabinet la plume à la main. L'assassinat de César en plein sénat, le 15 mars 44 avant J.-C., lui avait brusquement rendu tous ses espoirs ; ses lettres, ses discours contre Antoine (les Philippiques, ainsi nommées en souvenir des invectives de Démosthène contre Philippe de Macédoine) nous permettent de suivre, presque jour par jour, une année d'activité intense où il essaie successivement toutes les voies du salut. D'abord le rétablissement de la république par la réconciliation du parti césarien (Antoine notamment) avec le sénat. Puis, quand la tâche se montre impossible, il essaie d'isoler Antoine, de tourner contre lui le jeune Octave, héritier et neveu du dictateur. Hésitations, espoirs, fureurs, tentations lancinantes de partir pour la Grèce afin de tout oublier, mais en définitive un engagement plus héroïque encore qu'au temps de Catilina. Comme finalement la cause qu'il défendait a été vaincue, on s'accorde à penser qu'il a pour l'heure manqué de jugement politique ; peut-être, dans le droit fil de toute sa vie, a-t-il, ce faisant, témoigné pour la réalité de valeurs d'un autre ordre.
En novembre 43 avant J.-C., Octave et Antoine, se sentant conjointement menacés par le rassemblement des armées que Brutus et Cassius levaient en Macédoine et en Asie, décidèrent de s'allier. Avant de quitter l'Italie pour aller affronter leurs adversaires, ils voulurent faire place nette. Des listes furent dressées de ceux qu'ils tenaient pour susceptibles de les inquiéter. Cicéron n'y fut pas oublié. Il s'attendait un peu à cette fin. Une fois de plus, il songea à partir ; il s'embarqua, mais ne put supporter en pareilles circonstances de voir disparaître à ses yeux « la terre de cette patrie qu'il avait plusieurs fois sauvée ». Le navire revint à la côte. On n'était pas allé bien loin, jusqu'à Gaète. Les assassins dépêchés par les triumvirs le rejoignirent aisément, le 7 décembre 43 avant J.-C. La tradition rapporte qu'Antoine fit exposer sur la tribune du Forum sa tête et ses mains sanglantes.

 

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MAZARIN

 

Jules Mazarin

en italien Giulio Mazarini

 

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Mazarin

Prélat et homme d'État français (Pescina, Abruzzes, 1602-Vincennes 1661).

Introduction

Originaire d'une famille romaine alliée aux princes Colonna par sa mère et d'une famille sicilienne assez modeste par son père, Mazarin suivit l’enseignement du collège des Jésuites de Rome. En 1618, il devint étudiant en droit canon à l'université de la Sapience. Mais le jeu et la vie mondaine l'attirant plus que les études, son père l'envoya en Espagne à dix-sept ans accompagner le jeune Girolamo Colonna et poursuivre ses études à l'université d'Alcalá. Mazarin resta trois ans en Espagne, élargissant son horizon aux dimensions de l'Europe. Pour l'empêcher d'épouser la fille d'un notaire de Madrid, son père le rappela à Rome.

Au service du pape

Mazarin, devenu docteur in utroque jure, mais tenté par la carrière des armes, fut nommé en 1623 capitaine de l'armée pontificale, chargée d'occuper la Valteline que se disputaient Espagnols et Français. Grâce à sa connaissance de la langue castillane, il fut chargé des négociations avec les Espagnols qui aboutirent en mars 1626 au traité de Monzón garantissant la neutralité de la Valteline. Cette affaire fit connaître Mazarin dans les hautes sphères de Rome.

Lors de la succession de Mantoue, Mazarin négocia la paix entre la France et l'Espagne comme représentant du pape Urbain VIII, qui voulait empêcher à tout prix la guerre entre les puissances catholiques. Ce fut au cours de ces négociations, à Lyon, le 28 janvier 1630, que Mazarin rencontra pour la première fois Richelieu. La levée du siège de Casale le rendit célèbre dans toute l'Europe : Mazarin, le 26 octobre 1630, au moment où tout semblait perdu et où les troupes françaises et espagnoles allaient s'affronter, s'élança à cheval entre les armées ennemies, agitant en l'air son chapeau et criant « Pace, Pace » ; il tenait en main le projet du traité qu'il venait de faire accepter aux deux puissances. Il contribua au règlement du conflit qui, par le traité de Cherasco du 6 avril 1631, assurait Mantoue au duc de Nevers et Pignerol à la France.

Dès ce traité, l'entente sembla formée entre Richelieu et le jeune diplomate. Mazarin, doué d'une intelligence remarquable, d'une acuité et d'une souplesse d'esprit surprenantes, éloquent, profondément optimiste, était un diplomate-né. Richelieu pensait grâce à lui influer sur le jeu politique du Saint-Siège.

Après un bref séjour à Paris, où il fut fort bien reçu par le roi et Richelieu, Mazarin devint en décembre 1632 chanoine au chapitre de Saint-Jean de Latran. Il entra au service du cardinal Antonio Barberini (1608-1671), neveu de Maffeo Barberini devenu le pape Urbain VIII et favorable à la France.

En 1634, Mazarin fut nommé vice-légat à Avignon et fut chargé en novembre en tant que « nonce extraordinaire » à Paris d'obtenir la restitution au duc de Lorraine de ses États, de défendre la validité du mariage de Gaston d'Orléans avec la sœur du duc de Lorraine, et surtout de plaider en faveur de la paix (l'aide fournie par Richelieu aux princes protestants faisant craindre au pape l'intervention prochaine des Français dans la guerre de Trente Ans). Mais sous la pression des Espagnols, irrités des services de Mazarin, le pape le rappela en Avignon en mars 1635. De retour à Rome fin 1636, il tomba dans une demi-disgrâce. La mort du Père Joseph, conseiller de Richelieu et candidat officiel de la France au cardinalat, en décembre 1638, ouvrit de nouvelles perspectives à Mazarin.

Au service du roi de France

Invité par Louis XIII, Mazarin quitta définitivement Rome le 14 décembre 1639, pour entrer au service de la France, dont il adopta la nationalité l'année même, ce qui lui permit d'acquérir et de léguer des biens, y compris des bénéfices ecclésiastiques ; le roi lui octroya bientôt ceux de l'abbaye Saint-Médard de Soissons.

Plusieurs missions diplomatiques lui furent confiées : envoyé en 1641 à Turin, il rétablit l'alliance française avec Marie-Christine de Savoie ; il réussit à convaincre le duc de Bouillon de céder la place de Sedan à la France en 1642.

La nomination au cardinalat ayant été arrachée au pape par les instances de Richelieu, Mazarin reçut le bonnet des mains de Louis XIII le 6 mai 1642 à Valence. Richelieu considérait Mazarin non comme son successeur éventuel, mais comme le premier collaborateur de sa diplomatie. Richelieu mourut le 4 septembre 1642 après avoir recommandé Mazarin à Louis XIII. Mazarin ne cessa jamais de proclamer son admiration et sa reconnaissance pour son bienfaiteur, dont il poursuivit la politique.

Le 5 décembre 1642, Louis XIII fit entrer Mazarin au Conseil du roi. Pour attacher davantage le cardinal au service de la France et du Dauphin, le roi le nomma parrain du futur Louis XIV. Louis XIII mourut le 14 mai 1643 ; dès le 18, le parlement de Paris annulait son testament, qui instituait un Conseil de régence, dont Mazarin était l'un des membres.

Les premières années de la régence (1643-1648)

Le 18 mai 1643, quatre jours après la mort de Louis XIII, Anne d'Autriche, régente pour le compte de Louis XIV – qui n'avait que quatre ans et demi –, choisit Mazarin comme Premier ministre. Gaston d'Orléans devint lieutenant général du royaume et le prince de Condé chef du Conseil, nominations qui avaient surtout pour but d'éviter une rébellion des grands du royaume.

Mazarin fut un Premier ministre plus puissant encore que Richelieu ; ce dernier devait en effet compter avec Louis XIII, tandis qu'Anne d'Autriche laissa Mazarin seul maître des orientations de la politique. Il put compter sur le soutien sans faille de la régente, qui renforça son pouvoir dès 1644 en le faisant surintendant de sa maison, puis en 1646 en lui confiant l'éducation de Louis XIV.

Anne d'Autriche, en nommant Mazarin, ne rompait pas avec la tradition du règne précédent. Furent-ils époux (Mazarin n'était pas prêtre) ? Nul document ne permet de l'affirmer. Mais leur amour ne saurait faire de doute quand on lit leur correspondance. « De belle taille, le teint vif et beau, les yeux pleins de feu, le nez grand, le front large et majestueux », Mazarin était séduisant.

Le début de la régence fut marqué par la victoire de Rocroi, remportée en mai 1643 sur les Espagnols par le duc d'Enghien (le futur Grand Condé). Mais ce succès, qui faisait de la maison de Condé le soutien du trône, excita la jalousie d'anciens exilés et de ceux qui avaient cru l'emporter au début de la régence dans les faveurs de la reine. Le duc de Beaufort était le chef de cette cabale dite « des Importants », ainsi nommée à cause de la morgue affichée par les seigneurs conjurés. Au centre de la cabale, le duc de Beaufort souhaitait récupérer le gouvernement de la Bretagne, que Richelieu avait retiré à son père, César de Vendôme. La duchesse de Chevreuse soutenait les prétentions de la maison de Vendôme et de Châteauneuf. Les comploteurs, parmi lesquels se trouvait également le duc de Guise, voulaient que la reine éloignât Mazarin des affaires et avaient prévu de le remplacer par l'évêque de Beauvais, Augustin Potier. Mazarin réduisit la conspiration dès les mois suivants. Le duc de Beaufort emprisonné, Mme de Chevreuse de nouveau exilée, Mazarin fit vraiment à partir de ce moment figure de Premier ministre.

Le cardinal ne chercha pas à réformer les abus nés du système des fermes pour la perception des impôts ; au contraire, durant son ministériat, toute l'administration financière passa aux mains des traitants ou financiers. Michel Particelli d'Émery (vers 1595-1650), surintendant des Finances depuis 1643, créa en 1644 la taxe des aisés et la taxe du toisé, qui frappait les logements modestes construits dans les faubourgs de Paris au-delà de l'enceinte, pour procurer de l'argent au Trésor, épuisé par la poursuite de la guerre. Devant l'opposition du parlement, le président Barillon fut exilé.

La politique étrangère

La guerre de Trente Ans

La paix générale de la chrétienté, tel était le but ultime de la politique extérieure de Mazarin. Le congrès de Westphalie n'empêchait pas la poursuite de la guerre. En 1645, la conjoncture devint très favorable à la France : victoire de Nördlingen, retour de la paix entre la Suède et le Danemark au traité de Brömsebro, traité avec le Danemark, qui ouvrait le Sund au commerce français, mariage de Marie de Gonzague-Nevers avec Ladislas IV, roi de Pologne. Mazarin alors eut la tentation de se réconcilier avec l'Espagne au détriment des Pays-Bas. Il aurait échangé la Catalogne contre les Pays-Bas, lesquels auraient constitué la dot de la jeune infante qui aurait été fiancée au jeune Louis XIV. Son conseiller Servien le dissuada d'un tel projet.

Les affaires italiennes

En Italie également, Mazarin révélait de grandes ambitions. Il prépara une expédition contre les présides de Toscane, imaginant qu'assurée d'une base sur les côtes de Toscane la flotte française pourrait conduire Thomas de Savoie à Naples et provoquer une insurrection contre l'Espagne. L'expédition échoua en juillet 1646. Mais, en octobre, le succès de l'attaque contre l'île d'Elbe et Piombino entraîna à Rome un renversement de la politique du pape Innocent X, jusqu'alors hostile à la France et à Mazarin.

Une révolte populaire éclata en juillet 1647 à Naples ; Mazarin y vit une nouvelle possibilité d'affaiblir les Espagnols. Henri II, duc de Guise (1614-1664), s'y fit reconnaître « protecteur de la République », mais l'envoi d'une flotte permit le rétablissement du régime espagnol.

Les traités de Westphalie

Le 30 janvier 1648, les Espagnols conclurent une paix séparée avec les Provinces Unies. L'Espagne, qui pouvait maintenant porter son principal effort contre la France, aurait voulu prolonger son alliance avec l'empereur. Mazarin fit en quelque sorte la parade en concluant rapidement la paix de Westphalie. Abel Servien signa pour la France le 24 octobre 1648 le traité de Münster qui mettait fin à la guerre de Trente Ans. La France obtenait définitivement les Trois-Évêchés et les droits et possessions de la maison d'Autriche sur l'Alsace.

La Fronde

De 1648 à 1652, des troubles très confus, la Fronde, opposèrent le gouvernement royal au parlement de Paris, puis aux princes, enfin à une coalition hétéroclite groupant parlementaires, compagnies d'officiers, nobles. Sur la personne de Mazarin se cristallisèrent tous les mécontentements. La convocation des états généraux fut au cœur des revendications des gentilshommes, tandis que les grands ne voulaient que le renvoi du cardinal et que les parlementaires, eux, souhaitaient défendre leurs intérêts tout en essayant d'élargir leur pouvoir politique. L'impossibilité pour ces trois groupes de frondeurs de s'entendre pour mener une politique commune d'opposition à Mazarin fut pour celui-ci le premier gage de son succès.

En 1648, le parlement tenta d'interdire à Mazarin de diriger les affaires du royaume en vertu d'un arrêt de 1617 pris contre Concini – sans que cela eût d'effet. À plusieurs reprises, devant la résolution de ses adversaires, Mazarin dut s'enfuir : en septembre 1648, il partit avec le roi et la régente à Saint-Germain-en-Laye ; durant l'année 1650, il fit plusieurs voyages dans le royaume, dans le but de consolider son pouvoir ; dans la nuit du 6 au 7 février 1651, il quitta Paris afin de faire retomber l'agitation du parlement, des nobles et des princes, pour une fois tous unis contre lui. Il s'exila alors volontairement en Allemagne, à Brühl, dans un château de l'archevêque-Électeur de Cologne, tout en continuant d'échanger une correspondance secrète avec la régente. La majorité de Louis XIV fut proclamée le 7 septembre 1651, mais le jeune roi ayant solennellement délégué son pouvoir à sa mère, et Mazarin ayant conservé toute la confiance de celle-ci, il resta de fait à la direction des affaires.

Ses adversaires se divisant comme il l'avait prévu, il put rejoindre la cour à Poitiers le 28 janvier 1652 avec sept mille hommes recrutés à ses frais en Allemagne. Après un nouvel exil en août 1652 à Bouillon, la fin de la Fronde et le retour du roi à Paris en octobre suivant, il attendit le 3 février 1653 pour regagner à son tour la capitale où il fut acclamé par les Parisiens.

La toute-puissance du Premier ministre

Introduction

Le sacre de Louis XIV le 7 juin 1654 marquait le rétablissement définitif de la paix intérieure et la victoire de Mazarin, désormais tout-puissant.

La politique extérieure

L'empereur Ferdinand III mort sans héritier vivant, Mazarin, qui avait songé un moment à faire élire Louis XIV empereur et rêvé pour lui-même de la tiare papale, devint le protecteur de la ligue du Rhin (1658), qui obligeait le nouvel empereur Léopold Ier à respecter les accords de Westphalie.

Mais la guerre extérieure continuait avec l'Espagne, qui avait refusé de signer le traité de Münster. Mazarin pensa contraindre l'Espagne à la paix grâce aux succès militaires de Turenne ; mais la défaite du maréchal de La Ferté à Valenciennes et la perte de la ville de Condé rompirent les négociations entamées à Madrid par Hugues de Lionne (1611-1671) durant l'été 1656. Le cardinal, pour attaquer les villes côtières de Flandre, s'allia par le traité de Paris en mars 1657 avec Cromwell ; ce traité militaire faisait suite à un traité de commerce conclu en 1655 qui mettait fin aux actes de pirateries entre Anglais et Français. L'alliance renouvelée en mars 1658 permit le 14 juin la victoire des Dunes, remportée par Turenne sur Condé (passé dans le camp espagnol), et la prise de Dunkerque. Turenne poursuivit alors son avance jusque vers Bruxelles, mais dans l'intervalle, la mort de Cromwell et l'activité diplomatique entre Paris et Madrid avaient permis d'envisager la paix.

Désireux de conclure cette paix avec l'Espagne en mariant Louis XIV et l'infante, le cardinal fit craindre à l'Espagne, lors d'un voyage du roi à Lyon, la possibilité d'un mariage entre Louis XIV et Marguerite de Savoie. Inquiète, l'Espagne se décida à envoyer Antonio Pimentel à Lyon pour négocier. Mazarin encouragea le roi à rompre l'idylle qu'il avait avec Marie Mancini (1640-1715), l'une des nièces du cardinal.

Les pourparlers de paix commencés à Lyon en 1658, poursuivis à Paris, la rencontre dans l'île des Faisans entre Mazarin et le Premier ministre espagnol Luis de Haro d'août à novembre 1659 aboutirent à la signature le 7 novembre du traité des Pyrénées, qui mettait fin à la guerre. Le prince de Condé, pour sa part, reçut le pardon du roi – la cérémonie eut lieu à Aix-en-Provence au début de 1660.

La France obtenait définitivement l'Artois, la Cerdagne, le Roussillon. Et surtout, le mariage entre Louis XIV et l'infante était conclu, Marie-Thérèse renonçait à la couronne d'Espagne moyennant une dot de 500 000 écus d'or (cette somme ne sera jamais versée). Le couple royal entra à Paris le 26 août 1660 dans la joie générale. Le parlement envoya une députation extraordinaire au cardinal pour le remercier de la conclusion du traité des Pyrénées et du mariage du roi.

L'Europe entière consacra la toute-puissance de Mazarin en le sollicitant pour arbitrer la paix du Nord : le traité d'Oliva mit fin en mai 1660 au conflit entre la Pologne, le Brandebourg et la Suède ; le traité de Copenhague de juin 1660 rétablissait la paix entre le Danemark et la Suède. Mazarin, grâce à son talent de diplomate et à sa connaissance approfondie des affaires européennes, avait fait de la France la grande puissance de l'Europe.

Les affaires intérieures

Mazarin gouverna aidé de Michel Le Tellier à la Guerre, de Hugues de Lionne aux Affaires étrangères et de Nicolas Fouquet aux Finances. Mazarin laissa à Fouquet toute liberté pour la gestion des fonds publics ; peu lui importait les moyens par lesquels Fouquet se procurait l'argent qu'il exigeait pour financer sa politique extérieure.

Le cardinal se servit du mouvement janséniste français pour neutraliser le pape, hostile à la guerre entre l'Espagne et la France, en détournant son attention de la lutte entre les deux pays et en lui donnant la possibilité d'exercer son autorité de chef spirituel. Peu intéressé par les questions religieuses, Mazarin sacrifia les jansénistes à la poursuite de sa politique extérieure. Le 10 juillet 1653, il présida l'assemblée du clergé qui se prononça pour la réception en France de la bulle d'Innocent X Cum occasione condamnant la doctrine de l'Augustinus et assurant le triomphe des jésuites. L'agitation ne retomba pas : Pascal écrivit alors ses Provinciales (publiées en 1656-1657), tandis que les jansénistes recevaient également le soutien du cardinal de Retz. En 1660, Mazarin résolut de faire signer à tous les ecclésiastiques de France un formulaire, inacceptable pour les jansénistes puisqu'il condamnait cinq propositions de l'Augustinus, de Jansenius, enclenchant ainsi la longue persécution de Port-Royal et de ses adeptes. Mazarin fit fermer en 1661 les « petites écoles » et disperser les « solitaires ». Le cardinal profite de cette affaire pour obtenir que le Saint-Siège admette la démission du cardinal de Retz de sa dignité archiépiscopale.

L'autorité du ministre ne fit que croître durant les dernières années de sa vie, le roi le laissant entièrement libre de ses décisions. Louis XIV semblait « l'aimer par-dessus tout le monde ». Mazarin se chargea de l'éducation politique du roi, qui, dès l'âge de seize ans, fut associé régulièrement aux travaux de ses différents conseils. Le Conseil de régence fut remplacé à la majorité de Louis XIV par un Conseil étroit (ou Conseil d'en-haut).

Le cardinal voulait laisser après sa mort Louis XIV en mesure de gouverner sans l'aide d'un Premier ministre.

La maison du cardinal

Mazarin amassa une prodigieuse fortune durant son ministériat. Colbert remit de l'ordre après la Fronde dans cette fortune déjà considérable, mais mal gérée. Les revenus du cardinal provenaient de ses gouvernements d'Alsace, de Vincennes, de La Rochelle, de l'évêché de Metz et de 27 abbayes, mais aussi d'« affaires » financières scandaleuses.

Mazarin fit venir à Paris ses neveux et nièces Mancini et Martinozzi, qui épousèrent de grands noms de la noblesse française. Hortense Mancini épousa en 1661 Armand Charles de La Porte, marquis de La Meilleraye puis duc de Mazarin. Ainsi également de Laure Mancini, mariée au duc de Mercœur, Laura Martinozzi, mariée au fils du duc de Modène, tandis que sa sœur Anna-Maria épousait le prince de Conti. Enfin, Marie Mancini, de laquelle Louis XIV fut amoureux vers 1658, fut éloignée par son oncle à Rome, où elle épousa un prince Colonna.

Collectionneur, Mazarin assembla dans son palais (devenu la Bibliothèque nationale) des sculptures, peintures, tapisseries, joyaux, meubles, dont une partie provenait de la vente de la collection de Charles Ier d'Angleterre. Gabriel Naudé (1600-1653) s'occupa de la bibliothèque de Mazarin, dispersée durant la Fronde, puis reconstituée et léguée au collège des Quatre-Nations (fondation posthume de Mazarin, aujourd'hui Institut de France). Mazarin aimait donner des représentations théâtrales (il fit jouer plusieurs pièces de Molière), des fêtes, des festins. Il introduisit en France l'opéra italien, les machines de Giacomo Torelli (1604 ou 1608-1678), les mises en scène somptueuses. Il fonda l'Académie royale de peinture et de sculpture.

Mazarin mourut le 9 mars 1661 à Vincennes. Louis XIV ayant refusé la fortune qu'il lui léguait, c'est le neveu du cardinal, le duc de La Meilleraye, qui fut son légataire universel. Mazarin laissait un actif de plus de 35 millions de livres – la plus grosse fortune de son siècle, peut-on estimer, nettement plus importante que celle de Richelieu – dont 8 700 000 livres en argent liquide et 4 400 000 livres en objets précieux et bijoux. Parmi ses débiteurs figuraient le roi d'Angleterre (pour 660 000 livres), la reine de Pologne (300 000 livres) ou encore Christine de Suède. Les revenus du cardinal s'élevaient à plus de 1 600 000 livres par an ; il s'agissait pour un tiers (572 000 livres) de revenus ecclésiastiques – dont 140 000 livres tirées de la seule abbaye de Saint-Denis.

Mazarin, qui avait été si violemment décrié, laissait le royaume pacifié et victorieux. Il avait préparé les conditions politiques et idéologiques qui permirent au règne de Louis XIV d'être tout de suite très brillant.

Les mazarinades

Pamphlets, chansons, poèmes burlesques, satires publiés durant la Fronde et dirigés principalement contre Mazarin. Les pamphlets rendaient le cardinal responsable de la crise et attaquaient son origine étrangère, sa fortune rapide, ses amours, son incapacité dans les affaires intérieures, sa politique extérieure. Mais chaque parti ayant ses propres pamphlétaires, Anne d'Autriche, Gaston d'Orléans, le Grand Condé, le cardinal de Retz et les financiers furent aussi attaqués.

Célestin Moreau dans sa Bibliographie des mazarinades (1850) dénombra environ 4 000 pièces. La Requeste des trois estats présentée à Messieurs du Parlement, l'Histoire du temps, le Catalogue des partisans comptent parmi les mazarinades les plus importantes. Les pamphlétaires les plus illustres furent : Gui Joly, Jean-François Sarasin, Olivier Patru, Gui Patin, Scarron, etc. G. Naudé, bibliothécaire de Mazarin, réfuta dans le Mascurat ou Jugement de tout ce qui a été imprimé contre le cardinal de Mazarin vers (1650) les accusations lancées contre Mazarin.

 

 
 
 
 

VERSAILLE

 


château de Versailles



Château de Versailles, cour de Marbre
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Louis XIV
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        le royaume de France sous Louis XIV
        Henri de La Tour d'Auvergne, vicomte de Turenne
        Sébastien Le Prestre, seigneur de Vauban
        château de Versailles

Introduction
Le château de Versailles a été conçu à la fois pour éloigner la cour d'un Paris qui avait fait trembler le roi pendant la Fronde, pour détourner la noblesse de nouvelles velléités de révolte contre l'autorité royale en l'étourdissant – en l'asservissant – de divertissements, de fêtes et de chasses, mais aussi et surtout pour servir de fastueux théâtre à l'incontestable autorité de l'absolutisme.
Haut lieu de l'art français, le domaine de Versailles reflète principalement la volonté créatrice et les goûts de Louis XIV. On y trouve pourtant l'apport de ses successeurs ainsi que le souvenir du petit château de chasse que Louis XIII avait fait construire de 1624 à 1634 : un corps de logis avec deux ailes en retours d'équerre et quatre pavillons d'angles, le tout en brique et en pierre. Respectant la demeure paternelle, qui est devenue le noyau de l'ensemble versaillais, Louis XIV décida de l'amplifier. La chute de Fouquet mettait à sa disposition l'équipe de Vaux-le-Vicomte : Le Vau, Le Nôtre, Le Brun, des sculpteurs et divers spécialistes. Au cours d'une première campagne, de 1662 à 1665, Le Vau enrichit le château d'ornements et lui ajouta, du côté de l'arrivée, deux bâtiments de communs, en brique et en pierre, encadrant une avant-cour plus large que la cour initiale. Le Nôtre commença le tracé régulier du jardin et du parc, donnant déjà à l'axe est-ouest un rôle primordial.
Le premier grand Versailles de Louis XIV
L’architecture
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au de Versailles, cour de Marbre
En 1667, Louis XIV entreprit de transformer le domaine selon l'idée qu'il se faisait de la fonction royale. Le Vau (relayé par D'Orbay) eut la charge des grands travaux d'architecture. Du côté de l'arrivée, les deux ailes des anciens communs furent surélevées et reliées au château par des corps de bâtiments en équerre dans le même style. Ainsi prit forme cette vaste cour d'aspect coloré, pittoresque, mouvementé, dont les ressauts successifs conduisent le regard à la cour d'origine, alors embellie et devenue, sous le nom de cour de Marbre, une sorte de sanctuaire. Du côté ouest, les travaux furent plus importants. De 1669 à 1671, le château de Louis XIII fut enveloppé par trois corps de bâtiments dessinant un énorme bloc rectangulaire. La façade frontale comportait au-dessus du rez-de-chaussée, entre deux avancées latérales, un profond retrait occupé par une terrasse au niveau de l'étage noble. Cette disposition n'a pas été maintenue. À cela près, l'ordonnance fixée par Le Vau subsiste dans ses grandes lignes ; le sens classique de l'équilibre y tempère un faste italianisant. On remarque l'appareil à refends du rez-de-chaussée, les hautes baies et les pilastres ioniques de l'étage noble, l'attique, la balustrade ornée de trophées et de vases qui dissimule la toiture, l'animation obtenue par la saillie légère de plusieurs avant-corps à colonnes détachées.

Le style Louis XIV
L'intérieur fut décoré sous la direction de Le Brun (personnellement responsable, durant trente ans, du décor intérieur de Versailles). Sous sa direction, les ornemanistes élaborèrent le style Louis XIV. Ce style, qui affecte également les formes du mobilier, et dont on remarque à Versailles combien il a pu évoluer sans heurts, sans ruptures ni oppositions brutales, a des origines italiennes; mais le génie d'adaptateur de Le Brun lui a donné toutes les caractéristiques d'un style éminemment français, qui doit son unité au fait que le premier peintre du roi n'a rien laissé s'accomplir en dehors de ses directives. Il a, en effet, programmé l'ornementation des appartements dans ses moindres détails, fait les premiers croquis des modèles de candélabres, de lustres, de pièces de serrurerie, de miroirs. Le magnifique escalier des Ambassadeurs (1671-1679) conduisait aux grands appartements de l'étage noble, ayant vue sur les parterres. Au nord, l'appartement du Roi a gardé l'essentiel du décor d'origine, avec ses revêtements de marbres polychromes, ses plafonds peints par les collaborateurs de Le Brun et représentant les allégories des planètes, ses stucs, ses bronzes ciselés et dorés ; des meubles d'argent contribuaient à sa splendeur. Vers le midi, l'appartement de la Reine a été très remanié au xviiie s. ; la salle des Gardes y conserve cependant son placage de marbres et ses peintures de Noël Coypel.
Sculptures et jardins

eau de Versailles, l'Orangerie
La sculpture versaillaise ne se conçoit pas sans son cadre d'architecture et de jardins. Elle orne avec richesse l'intérieur et l'extérieur du château, mais elle triomphe surtout dans la décoration des jardins, qu'elle soit en marbre blanc, en bronze ou en plomb (doré à l'origine). C'est par vocation un art de plein air, qui s'accorde merveilleusement au parti d'ensemble comme à la verdure disciplinée, aux motifs d'architecture et aux eaux. La grande campagne menée entre 1667 et 1678 devait donner aux jardins l'essentiel de leur statuaire, venant après les premières créations d'un Michel Anguier (1614-1686) et d'un Jacques Sarazin. Au cours de cette période, les jardins furent remaniés sous la direction de Le Nôtre et de Mansart. Secondé par des techniciens comme les frères François et Pierre Francine, réalisateurs des principaux travaux d'hydraulique qui permirent la création des admirables plans d'eau, Le Nôtre agrandit et remodela les jardins. Il prit soin d'en lier l'ordonnance au château, dont il dégagea les abords au moyen de parterres de broderies. Pour animer les plantations, il assigna un rôle important à la statuaire et aux eaux, tranquilles ou mouvantes. Le grand parterre de broderies, au pied de la façade principale, fit place à l'ensemble encore plus majestueux du parterre d'Eau, avec ses deux bassins symétriques. Devant le château, le grand axe est-ouest rencontre un premier axe transversal, qui commande le tracé du parterre du Nord et de l'allée d'Eau, l'un et l'autre en déclivité. Il passe ensuite entre les fontaines de Diane et du Point-du-Jour, symétriquement placées au sommet du grand degré qui s'abaisse vers le bassin de Latone ; on le retrouve dans l'allée Royale, ou Tapis vert, qui débouche, au bas de la pente, sur l'esplanade entourant le bassin d'Apollon. Au-delà, le Grand Canal prolonge la perspective et semble l'ouvrir sur l'infini ; son tracé en croix fait apparaître un second grand axe transversal. En contrebas du parterre du Midi, traité au contraire en broderies, une nouvelle orangerie fut créée par Mansart ; ses immenses galeries voûtées donnent par de larges baies sur un parterre inférieur, qu'encadrent deux grands degrés symétriques et dans l'axe duquel s'allonge la pièce d'eau dite « des Suisses ».
À droite et à gauche de l'allée Royale, les quatre bassins des Saisons marquent les intersections d'allées plus étroites, dont le quadrillage délimite des bosquets. Ceux-ci représentent la part de la fantaisie, de la surprise. Leur décor fragile, de goût baroque, n'a guère survécu ; on déplore ainsi la disparition du Labyrinthe, dont les fontaines sculptées illustraient les Fables d'Ésope, mais il reste le bassin d'Encelade et celui du bosquet des Dômes. Dans l'un des bosquets flanquant le Tapis vert, Mansart éleva enfin la Colonnade, un portique circulaire en marbres polychromes, dont chaque arcade surmonte une vasque.
Près du château, à l'emplacement de la chapelle actuelle, l'architecture italianisante de la grotte de Thétis abritait le groupe des Nymphes servant Apollon, dû principalement à Girardon (et replacé au xviiie s. dans le nouveau bosquet des Bains d'Apollon). Sur le pourtour du parterre du Nord et à côté des fontaines de Diane et du Point-du-jour, on voit un ensemble de statues allégoriques en marbre qui, replacées sans ordre lors des grands travaux de Mansart, étaient, à l'origine, réparties par groupes de quatre pour illustrer les thèmes des Éléments, des Parties du monde, des Saisons, des Heures du jour, des Poèmes et des Tempéraments. On admire notamment la figure de l'Hiver, par Girardon, d'un réalisme émouvant dans sa discrétion, et celle de l'Air, par Le Hongre, légère à souhait. Au milieu du parterre, la fontaine de la Pyramide, aux vasques superposées, accueille des tritons et des dauphins en plomb, par Girardon, auteur principal des gracieux bas-reliefs qui, en contrebas, animent le bassin du Bain des Nymphes. Dans l'allée d'Eau, chacune des vasques est portée par trois enfants en bronze, dont ceux de Le Gros sont particulièrement remarquables par leur réalisme et leur vie. Au milieu du bassin de Latone, que traverse l'axe principal du domaine, le groupe en marbre est de B. Marsy. Les quatre bassins symétriques qui marquent les intersections des allées séparant les bosquets, de part et d'autre du Tapis vert, offrent des figures en plomb représentant les divinités des Saisons : Flore par Tubi ; Cérès par Thomas Regnaudin (1627-1706), Bacchus par G. Marsy, Saturne par Girardon. On remarque aussi les statues mythologiques du bosquet des Dômes, par Tubi, Le Gros, Philippe Magnier (1647-1715), etc., le bassin d'Encelade, avec la figure en plomb de ce géant par B. Marsy. Au milieu du bassin d'Apollon, le char du dieu, ouvrage en bronze de Tubi, traduit ce thème solaire avec autant d'élégance que de majesté.
Le second grand Versailles de Louis XIV




        

Ayant installé à Versailles son gouvernement, le roi entreprit en 1678 une nouvelle campagne de travaux. Jules Hardouin-Mansart en eut la charge. Du côté de l'arrivée, il remania les combles et mit en place des statues ; au plan à ressauts de la cour, il apporta une dernière amplification en élevant deux ailes en brique et en pierre, dites « des Ministres », que relie sur le devant la grille d'entrée. Mais il y eut de plus grands travaux du côté des jardins. Sans détruire l'œuvre de Le Vau, Mansart lui imposa une régularité plus classique. La façade occidentale devint rectiligne par la suppression du retrait central. Cette opération permit d'aménager à partir de 1681 la grande galerie, dite « des Glaces ». La galerie, bâtie sur l'ancienne terrasse de la façade occidentale de Le Vau, doit son nom aux 400 miroirs disposés sur les parois du mur qui fait face aux 17 fenêtres ouvrant sur les jardins et inscrites, comme les miroirs, dans des arcades en plein cintre. Au sommet des pilastres sur stylobates en bronze doré, Le Brun se risqua à créer des chapiteaux d'« ordre français », formés de volutes « palmées » encadrant une fleur de lis surmontée de l'emblème solaire de Louis XIV, emblème placé entre deux coqs battant des ailes. Des marbres polychromes revêtent les parois de la Galerie, et les compartiments de la voûte, peinte par Le Brun et ses aides, illustrent les grands épisodes de l'histoire du roi. Les salons de la Guerre et de la Paix s'ouvrent aux deux extrémités, occupant les angles de la construction. De part et d'autre, et en retrait du château ainsi transformé, Mansart éleva de 1679 à 1689 deux longues ailes symétriques en retour d'équerre, dites « du Nord » et « du Midi », qui reproduisent l'ordonnance du corps principal tout en lui servant de repoussoir. Les bâtiments annexes sont à peine moins imposants que le château lui-même. Chef-d'œuvre de Mansart, qui les a bâties sur un même plan, les Grandes et les Petites Écuries (ces dernières accueillaient à elles seules plus de 600 chevaux), inaugurées en 1682, s'élèvent sur la place d'Armes, côté ville.

Le parterre d’Eau

hâteau de Versailles
Dans les jardins, la seconde grande campagne, où Mansart eut aussi le rôle principal, a donné surtout le parterre d'Eau. Peuplant le pourtour des deux bassins sans rompre cette impression générale d'horizontalité qui met en valeur la façade du château, d'admirables figures couchées, fondues en bronze par les frères Keller, personnifient les fleuves : la Garonne et la Dordogne, par Coysevox ; la Seine et la Marne, par Le Hongre ; la Loire et le Loiret, par Regnaudin ; le Rhône et la Saône, par Tubi. Elles voisinent avec des groupes d'enfants, par Le Gros, Corneille Van Clève (1645-1732), Jean-Baptiste Poultier (1653-1719) et François Lespingola (1644-1705). Dans la Colonnade de Mansart, les bas-reliefs des arcades sont de Coysevox, de Tubi, etc. ; le groupe central, de Girardon, fait habilement tourner dans l'espace les figures de l'Enlèvement de Proserpine.

Le Trianon de Louis XIV
Voulant s'offrir un cadre de délassement non loin du château, Louis XIV avait fait élever par Le Vau dès 1670, près de l'extrémité du bras nord du Grand Canal, au lieu-dit Trianon, un pavillon bas recouvert de carreaux en faïence de Delft. Ce charmant « Trianon de porcelaine » était trop fragile. En 1687, le roi décida de le remplacer par une construction plus durable, dont il demanda les plans à Mansart. Ce « Trianon de marbre » ne comporte qu'un rez-de-chaussée à grandes portes-fenêtres cintrées, que couronne une balustrade. Des pilastres et des colonnes en marbres rose et vert se détachent sur la pierre blonde des murs. Bordée à droite et à gauche par deux ailes, la cour communique avec le jardin par un portique à jour, dont l'heureuse idée revient à Robert de Cotte. Une succession d'ailes s'articule sur l'édifice en décrivant trois retours d'équerre. L'intérieur marque l'apparition d'un nouveau style, moins solennel et plus gai : les boiseries sont peintes en tons clairs et finement sculptées ; des frises de stuc entourent les plafonds blancs. Remodelé par Le Nôtre et par Mansart, le jardin a pour motif principal la fontaine du Buffet-d'Eau.
Les derniers travaux de Louis XIV
Vers la fin du règne, le chantier capital fut celui de la chapelle. Commencée en 1699 sur les plans de Mansart, achevée en 1710 par R. de Cotte, celle-ci s'élève à la naissance de l'aile du Nord, qui englobe son vestibule à deux étages et qu'elle domine de sa toiture très ornée. La structure est légère autant que majestueuse. À l'intérieur, les bas-côtés s'ouvrent sur la nef par des arcades que portent de larges piles ; ils sont surmontés de hautes tribunes à colonnade corinthienne. Des fenêtres à pénétrations éclairent la voûte, peinte en couleurs soutenues par Antoine Coypel, qui y a représenté les puissances célestes ; Charles de La Fosse est l'auteur de la Résurrection du Christ, qui orne en tons plus fondus la conque de l'abside.
Dans l'appartement royal aménagé en 1701 sur la cour de Marbre, Mansart fut l'inspirateur d'un style décoratif confirmant l'évolution amorcée à Trianon. Le plus brillant exemple en est le salon de l'Œil-de-Bœuf, avec ses boiseries blanc et or, son plafond blanc, dont la frise en stuc doré représente des jeux d'enfants.
Louis XV à Versailles et à Trianon


Le roi et la Cour revinrent en 1722 dans le château, déserté sous la Régence. Aménagé vers 1730 à l'articulation des grands appartements et de l'aile du Nord, le vaste salon d'Hercule garde une solennité traditionnelle avec ses revêtements de marbres polychromes, son plafond, où l'apothéose du demi-dieu, peinte par François Lemoyne, est cependant d'une légèreté aérienne. Les goûts de Louis XV devaient bientôt lui faire rechercher un cadre de vie plus intime et plus confortable. Au prix de destructions comme celle de l'escalier des Ambassadeurs, l'appartement privé du roi fut aménagé à l'étage noble, sur le côté droit de la cour. Les magnifiques lambris blanc et or de Jacob Verberckt (1764-1771) et de Jules Antoine Rousseau (1710-1782) y marquent le triomphe de la « rocaille ». L'appartement de Mme Adélaïde est à la suite. Au-dessus, il y a des petits appartements et diverses pièces aux boiseries délicatement sculptées et peintes. D'autres appartements, destinés au dauphin, à la dauphine, à Mesdames, à Mme de Pompadour, prirent place au rez-de-chaussée. Mais le plus bel apport du règne est sans doute l'Opéra, construit de 1748 à 1770 à l'extrémité de l'aile du Nord, sur les plans de Jacques-Ange Gabriel. La salle, avec ses boiseries peintes en faux marbre ou dorées et sa colonnade supérieure, la scène et le foyer illustrent le retour à un style plus architectural, dont la grâce égale cependant le faste. Gabriel fut bien moins inspiré dans son entreprise, heureusement non parachevée, de rénovation radicale de la cour.
Dans les jardins, l'esprit de la « rocaille » marque la décoration du grand bassin de Neptune (creusé selon le projet de Le Nôtre au bas de l'allée d'Eau). Les figures de plomb sont celles des divinités aquatiques : Neptune et Amphitrite, par Lambert Sigisbert Adam (1740) ; l'Océan, par Jean-Baptiste II Lemoyne ; Protée, par Edme Bouchardon. Dans l'Opéra et son foyer, les bas-reliefs en bois peint d'Augustin Pajou attestent au contraire l'apparition d'un art inspiré de nouveau de l'antique.
À Trianon, Gabriel avait édifié en 1750 l'élégant « pavillon français », en croix de Saint-André. Louis XV lui demanda en 1762 d'élever pour Mme de Pompadour un petit château, dont la réalisation s'acheva cinq ans plus tard : c'est le Petit Trianon, de plan carré et sans toit apparent, incomparable par la pureté du dessin de ses quatre façades différentes, la perfection de ses ornements sculptés et de ses moulures. On y reconnaît le premier triomphe du « retour à l'antique ».
Le règne de Louis XVI
À défaut de transformations capitales dans le château, les appartements furent en partie modernisés. L'élégante bibliothèque du Roi, aux boiseries exécutées sur les dessins de Gabriel, prit la place de la chambre de Mme Adélaïde. Déjà remaniée pour Marie Leszczyńska, la chambre de la Reine reçut une magnifique tenture de soierie, tissée à Lyon sur les cartons de Philippe de Lassalle. L'architecte Richard Mique (1728-1794) aménagea pour Marie-Antoinette un petit appartement d'un goût exquis.

, les Bains d'Apollon
Les jardins furent replantés, les murailles de verdure faisant place à une végétation plus libre. Le bosquet des Bains d'Apollon fut transformé selon un goût préromantique d'après les dessins d'Hubert Robert ; on en disposa les statues dans le creux d'un rocher artificiel.
En 1774, Louis XVI offrit le Petit Trianon à Marie-Antoinette, qui s'y attacha, en fit moderniser la décoration intérieure et l'ameublement. Mique y aménagea avec le comte de Caraman un jardin à l'anglaise, où il disposa des « fabriques » d'un style néo-grec très pur : le Belvédère, à pans coupés, le Temple de l'Amour, en rotonde. Mais il devait sacrifier à la mode pseudo-rustique en entourant le lac, de 1783 à 1786, des constructions du Hameau, notamment la Maison de la reine, la Ferme, le Moulin à eau, la Laiterie, attenante à la « tour de Marlborough ».
Le domaine de la Révolution à nos jours
La Révolution vida le château, mais en épargna à peu près les bâtiments et la décoration fixe. Napoléon n'apporta rien de notable (réaménagement du Grand Trianon), Louis XVIII et Charles X non plus. Louis-Philippe, en revanche, décida la transformation du palais en musée. En dédiant celui-ci « à toutes les gloires de la France », le souverain manifestait une volonté politique de réconciliation nationale. Mais les travaux d'aménagement ont grandement altéré les dispositions primitives (aménagement de la galerie des Batailles, des salles des Croisades, etc.), sacrifiant notamment, au rez-de-chaussée, les appartements des enfants de Louis XV (dont les relevés, toutefois, furent établis et dont une partie des boiseries furent mises en réserve, ce qui a permis la grande campagne de restitution des années 1978-1986. Un vaste programme de remise en état devait être entrepris en 1925 grâce à la générosité de John D. Rockefeller. Depuis 1950, les opérations de restauration et de remeublement ont permis notamment la résurrection de l'Opéra, qui avait été défiguré au xixe s., et, dans les années 1970-1980, la restitution (en l'état de 1798) de la Chambre de la Reine, de la Chambre du Roi, de la Galerie des Glaces, des appartements de la dauphine et du dauphin. Dans la grande Écurie a été aménagé un musée des Carrosses. En 2003, un vaste programme de travaux en trois phases a été planifié pour le château et le domaine : devant être achevé en 2020, il doit améliorer l'accueil des visiteurs (le château reçoit
, Louise-Marie de Bourbon, Mademoiselle de Tours
Aujourd'hui, Versailles est à la fois musée d'Histoire et ensemble palatial patiemment reconstitué. Comme musée, y sont conservés de nombreux dessins, gravures, sculptures et pas moins de 6 000 peintures (anciennes : du xve s. au xviiie s. ; modernes : grands tableaux historiques commandés aux peintres du xixe s.), dont une petite partie seule est exposée. Les appartements du palais comptent parmi les lieux les plus célèbres et les plus visités de France : grands appartements du roi et de la reine, reliés par la galerie des Glaces, chapelle, Opéra, petits appartements du roi et de Mme du Barry, appartements du Dauphin, de la Dauphine et de Mesdames (filles de Louis XV), cabinets de Marie-Antoinette.
Le domaine des Trianons est rattaché au musée. Le Grand Trianon conserve un ensemble de peintures anciennes, de mobilier et d'objets d'art surtout de style Empire. Le Petit Trianon a été réaménagé sur ordre de l'impératrice Eugénie (important mobilier d'époque Louis XVI).
Le château de Versailles abrite également, depuis 1987, un centre de musique baroque.
Le château et le parc de Versailles ont été inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco en 1979.

 

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Grèce : art et architecture de la GRÈCE ANTIQUE

 


 

 

 

 

 

Grèce : art et architecture de la Grèce antique

L’expression « art grec ancien » est réservée traditionnellement à l’art qui fleurit dans les cités grecques de Grèce et des côtes d’Asie Mineure ainsi que dans leurs colonies (Sicile et Italie du Sud) à partir du xie siècle avant notre ère. Auparavant, l'art mycénien s'est développé de 1500 à 1200 av. J.-C., notamment autour des centres de Mycènes et de Tyrinthe, qui relève d’une civilisation très différente. À partir du ive siècle avant J.-C., avec les conquêtes d’Alexandre le Grand et l’extension de la civilisation grecque, on qualifie d’« hellénistique » l'art grec ancien qui en résulte.
1. Les origines

1.1. L’art géométrique (xie-vie siècle av. J.-C.)

Après la disparition de la civilisation mycénienne, la Grèce développe, dans un monde politique entièrement nouveau, un art dont on a défini les caractéristiques grâce à la céramique : on y emploie presque exclusivement des motifs géométriques – cercles ou demi-cercles, lignes brisées, chevrons, méandres, grecques, triangles hachurés.
L’art géométrique atteint sa perfection au viiie siècle avant J.-C., avec des motifs plus nombreux, où figurent des figures humaines et des animaux, peints en silhouette noire sur fond clair. Les cimetières – comme celui du Dipylon, aux portes d’Athènes, où l’on trouve les exemples les plus achevés de ce style – ont fourni des amphores et des cratères (vases parfois utilisés comme urnes funéraires) sur lesquels, au milieu de motifs géométriques, apparaissent des poissons, des oiseaux, ainsi que des scènes de la vie aristocratique des Eupatrides : exposition du mort sur un lit de parade, entouré de pleureuses, chars attelés de chevaux, défilés de guerriers, combats navals, chasses.
À côté de la céramique, les autres arts connus n’occupent qu’une place mineure. De l’architecture il ne reste pratiquement rien que les fondations en petites pierres de temples ou de maisons. Les tombes ont livré quelques rares bijoux. La sculpture fait son apparition avec quelques statuettes en terre cuite et surtout des œuvres en bronze : armes décorées, chaudrons et trépieds, figurines d’animaux et représentations humaines.
1.2. L’art orientalisant et l’art archaïque (fin du viiie-viie siècle av. J.-C.)

Dans le dernier quart du viiie siècle avant J.-C., l’art grec abandonne les motifs géométriques pour une inspiration plus naturaliste. Le travail du bronze, de la pierre et de la céramique fait des progrès considérables. Ce foisonnement culturel se produit en un siècle très important pour le monde grec, qui voit s’affirmer la cité comme forme d’organisation politique et qui noue des relations plus étroites dans le bassin Méditerranéen. Les objets orientaux (ivoires, bronzes, tissus) qui arrivent désormais en nombre constituent de nouvelles formes d’inspiration.
La céramique à figure noire

Le premier style orientalisant apparaît à Corinthe. Le décor des vases se renouvelle : des motifs floraux (fleurs de lotus, palmettes, rosettes), des animaux (chiens courants, lions, chèvres) ou des animaux fantastiques (sphinx essentiellement) remplacent les dessins géométriques. Les représentations humaines (guerriers, chasseurs à pied ou à cheval) sont de plus en plus fréquentes. En même temps, la technique de la figure noire est mise au point : les sujets sont entièrement peints en noir sur fond clair ; les détails anatomiques sont indiqués par des incisions ; des rehauts rouge et blanc complètent le dessin.


À partir de 650 se développe un style où des files d’animaux (bouquetins, taureaux, lions) décorent la panse des vases. Dans chaque cité, on trouve des ateliers spécialisés. À Rhodes (nécropole de Fikellura), les vases sont souvent décorés d’animaux (perdrix ou lièvres) pris sur le vif. À Chio, on fabrique des calices de forme très élégante. Clazomènes donne de grands sarcophages de terre cuite sur lesquels sont peintes des scènes de bataille, des chasses. Mais c’est la céramique de l'Attique qui impose les modèles les plus aboutis, offrant des scènes mythologiques, des figures humaines, dans un souci de précision anatomique caractéristique (Vase François, Musée archéologique, Florence). À partir de 550 avant J.-C., on assiste à l’éclosion de l’œuvre de maîtres comme Exékias ou Andokidès.
La sculpture en pierre
La sculpture, en pierre ou en bronze, est l’expression majeure du génie artistique grec. Offrande consacrée dans un sanctuaire ou sur une tombe, c’est par elle que l’homme et la cité manifestent leur piété envers leurs dieux.


La statuaire du viie siècle avant J.-C. est traditionnellement qualifiée de « dédalique », d’après le nom du mythique sculpteur Dédale. Elle connaît une expression monumentale dans l’allée des Lions, sur l’île de Délos. Le modèle pour la figure humaine est debout, les bras collés au corps, la tête triangulaire (Dame d’Auxerre).
Au vie siècle avant J.-C., deux figures s’imposent : le kouros, jeune athlète nu, et la korê, jeune fille revêtue de ses plus beaux atours. De magnifiques illustrations des deux types ont été mises au jour, comme les Jumeaux d’Argos, ou bien l’ensemble des korês de l’Acropole (paradoxalement conservées parce qu’à la suite des destructions des Perses en 480 avant J.-C. elles furent enfouies dans une fosse). L’une des plus belles fut réalisée par Anténor : on peut y voir l’aboutissement de recherches vers plus de mouvement et de réalisme au sein de créations très statiques. Si la ronde-bosse fixe les personnages dans une attitude intemporelle, les reliefs sculptés des temples participent quand à eux à un art du récit, illustrant un instant précis d’une légende (voir ci-dessous : « Architecture : les deux ordres »).
La sculpture en métal
Les arts du métal occupent également une grande place dans l’art archaïque. Les bronziers du Péloponnèse ou d’Ionie rivalisent pour produire des vases dont la forme est d’une grande hardiesse technique et qui comportent des décors complexes (Cratère de Vix, vers 525 avant J.-C.).
La monnaie, pour sa part, apparaît en Lydie vers 650-630 avant J.-C. et se répand en Grèce à partir de 600 avant J.-C. Les graveurs créent d’emblée des chefs-d’œuvre inégalés en utilisant des motifs et un relief parfaitement adaptés au cadre limité dont ils disposent.
Architecture : la structure primitive

La société est désormais assez organisée pour construire de vastes sanctuaires religieux, qui se développent en des lieux consacrés par les légendes. La demeure du dieu présente des analogies avec le mégaron mycénien, auquel les exigences du culte font parfois ajouter des éléments nouveaux, comme le mystérieux adyton (lieu où il est interdit de pénétrer), dans lequel la pythie prophétise à Delphes.
À l’extérieur du temple, le plus souvent face à l’entrée principale, à l’est, s’élève l’autel des sacrifices. Tout autour se dressent souvent des portiques et des chapelles – nommées « trésors » – édifiées par des cités qui y rassemblent des offrandes.


C’est au viie siècle que les Grecs, désireux peut-être de rivaliser avec les imposants temples orientaux et égyptiens, et plus sûrs de leurs techniques, commencent à édifier de grands temples. Les colonnes qui étaient disposées à l’intérieur du temple et servaient à soutenir le toit, enveloppent désormais le bâtiment ; jusque-là en bois, elles sont désormais taillées dans la pierre. Le temple s’habille d’un décor somptueux, en pierre ou en marbre.
Architecture : ordre ionique et ordre dorique
Vers la fin du vie siècle avant notre ère apparaissent les deux premiers ordres entre lesquels vont se répartir les temples grecs (un 3e apparaît au ive siècle : voir 2.1).
— L’ordre ionique (très grands temples d’Artémis à Éphèse, d’Héra à Samos, de l’Olympieion d’Athènes) est élancé, élégant. La colonne, aux cannelures profondes, est posée sur une base, le chapiteau encadré de deux volutes. La colonnade est surmontée d’une frise souvent sculptée.

— L’ordre dorique (temple d’Héra à Olympie, premier temple d’Apollon à Delphes, temple d’Apollon à Corinthe et temples d’Agrigente, de Sélinonte et de Paestum, en Italie et en Sicile), plus ancien, est par opposition plus trapu, plus dépouillé. La colonne, aux cannelures moins profondes, ne comporte pas de base. Le chapiteau, composé d’un coussinet et d’une abaque rectangulaire, est fonctionnel. La frise est faite d’une alternance de triglyphes et de métopes portant un décor peint ou en relief.
Dans les deux ordres, le fronton peut être orné de reliefs ou de statues en pied. Dans les temples doriques, le récit mythique peut être sculpté sur les métopes et ainsi morcelé en une série de petits tableaux. Dans les temples ioniques, sculpté sur la frise qui court en continu au-dessus de la colonnade, le récit atteint une plus grande ampleur.
2. L’art classique (vie-ive siècle avant J.–C.)

2.1. Épanouissement de l’architecture


L’itinéraire qui conduit des temples archaïques au Parthénon d'Athènes comprend deux étapes encore : celles que marquent le temple d’Athéna Aphaia à Égine, dont les colonnes plus légères et les proportions plus équilibrées annoncent un canon nouveau, et, surtout, le temple de Zeus à Olympie. C’est dans cet édifice que se manifeste pour la première fois la recherche d’un volume intérieur et que l’architecte et le sculpteur s’efforcent d’obtenir des effets esthétiques en conjuguant les pierres de diverses sortes. C’est à Olympie aussi que des lignes, droites jusqu’alors, semblent avoir été incurvées pour le plaisir de l’œil – subtiles corrections visant à atténuer la sécheresse d’une construction jugée trop géométrique.

Le Parthénon (ve siècle avant J.-C.), œuvre commune de l’architecte Ictinos et du sculpteur Phidias, est le chef-d’œuvre ultime de l’ordre dorique (l’ordre ionique, dont on trouve d’ailleurs des éléments dans le Parthénon, l’emporte ensuite). Il n’est toutefois qu’un élément d’un riche ensemble, l’Acropole d’Athènes.
Pour en savoir plus, voir les articles Parthénon,Acropole d'Athènes

Au ive siècle avant J.-C., l’énergie des bâtisseurs se dirige vers la ville elle-même. La mise en œuvre d’un urbanisme nouveau traduit le souci de mieux organiser la vie dans l’enceinte de la polis (la cité) : en plus des temples, les puissantes murailles, les grands théâtres de pierre (Épidaure) sont quelques-unes des réalisations les plus spectaculaires de l’architecture grecque classique.
Le Péloponnèse voit l’apparition d’un troisième ordre architectural, l’ordre corinthien (temple d’Aléa à Tégée, Némée), qui sera adopté dans toute la région.
2.2. La sculpture entre archaïsme et classicisme

Parmi les plus beaux vestiges de l’archaïsme finissant, les deux frontons du temple d’Égine se démarquent. Jean Charbonneaux fait du fronton ouest : « en quelque sorte le testament éclectique de l’archaïsme ». Le fronton est, lui, ouvre la voie à l’art classique. Tous deux dégagent une atmosphère de sérénité, de beauté et d’harmonie.
Le renouveau qui pointe au ive siècle avant J.-C. se caractérise par la recherche du réalisme dans les attitudes, les drapés ou l’expression. Les traits du visage dépeignent les sentiments animant le sujet, le mouvement gagne en liberté et en naturel.
Athènes
La fin du vie siècle avant J.-C. voit s’instaurer dans le domaine de la sculpture (comme dans celui de la peinture) une véritable prééminence athénienne. Celle-ci s’exprime en bien des lieux, tant par l’influence que par la présence d’artistes de l’Attique. Les métopes du trésor des Athéniens à Delphes ou le fronton du temple d’Apollon à Érétrie témoignent de la virtuosité des sculpteurs d’Athènes.
Le volume et la vie
Dans la première moitié du ve siècle avant notre ère, on passe du type du kouros immobile à celui de l’éphèbe alangui. Le corps humain se libère de ses contraintes. Simultanément, le sourire stéréotypé de l’époque archaïque s’efface pour laisser place à une expression calme et songeuse. Le style « sévère » est celui des débuts du classicisme : son modèle le plus connu est le célèbre Aurige de Delphes : dressé sur son char, le jeune homme, légèrement tourné vers la droite, jette un regard plein d’une tranquille assurance sur le public venu l’applaudir.
Les maîtres
Trois sculpteurs marquent le ve siècle avant J.-C. : Myron, auteur du fameux Discobole, Polyclète et Phidias. Ce dernier, le plus fécond, est aussi le plus célèbre dans l’Antiquité. Auteur des deux statues chryséléphantines de Zeus à Olympie et d’Athéna à Athènes (aujourd’hui disparues), il dirige l’élaboration du décor sculpté du Parthénon.

Y domine l’expression du mouvement, dans la frise des Panathénées en particulier. Et dans les ensembles décorant les frontons – compositions grandioses à gloire de la déesse tutélaire de la cité – les acteurs se meuvent dans un univers plus proche de la condition humaine que les héros très idéalisés des frontons d’Olympie.

Un renouvellement des formules classiques définit le second classicisme (ive siècle), qui voit la renaissance de divers ateliers régionaux. Athènes reste un foyer important, notamment avec Praxitèle, qui introduit un nouveau canon dans les proportions humaines (Aphrodite de Cnide).
2.3. La céramique à figures rouges

Une technique nouvelle

La grande époque de la céramique grecque se situe entre 530 et 480 avant J.-C. environ, alors que s’impose la technique des fonds noirs décorés de figures rouges. Le rendu des formes, de la musculature, des tissus atteint une perfection nouvelle. Durant cette période, les inscriptions se multiplient sur les vases, célébrant la beauté de jeunes éphèbes et surtout nous transmettant le nom des meilleurs artistes.
On connaît ainsi plusieurs dizaines de peintres de premier plan, dont les œuvres nous sont conservées dans un état de fraîcheur parfaite. Dans ce domaine encore, dès le vie siècle avant J.-C. et durant les deux premiers tiers du ve siècle avant J.-C., la prééminence des artistes attiques est totale et incontestée, au point que la production des ateliers athéniens éclipse toute concurrence.
Les maîtres
Euphronios, l’un des plus grands peintres de la fin du vie siècle avant J.-C., excelle dans la description du corps des athlètes ou des héros. On a comparé à une planche anatomique la scène d’un cratère représentant la lutte d’Héraclès et du géant Antée. La variété des sujets abordés par Euphronios est considérable : cavaliers, banquets, scènes de la vie quotidienne ou illustrations de légendes, partout l’artiste se révèle par la qualité de son trait et l’habileté de ses compositions – bientôt imitées par Euthymidès, par exemple.
De l’artisanat à l’industrie
Au cours de la première moitié du ve siècle, la production des vases attiques s’intensifie. D’artisanat d’art, la peinture sur vases devient activité industrielle. Des négligences dans le dessin, une certaine mollesse dans le trait, et surtout une répétition des mêmes thèmes se manifestent.
Dans la vogue que connaissent les vases attiques au ve siècle avant J.-C., quelques artistes, comme le peintre de Pan, Hermonax ou le peintre d’Achille, maintiennent la tradition de qualité et d’originalité athéniennes. Mais la guerre du Péloponnèse (fin du ve siècle avant J.-C.) brise le dynamisme d’Athènes.
Simultanément, une production concurrente, en Italie du Sud, conquiert les riches débouchés de l’Étrurie. La nature de la poterie à figures rouges se modifie profondément. Le dessin se libère de toute contrainte et gagne en mobilité ce qu’il perd en fermeté. Les tissus féminins se mettent à bouillonner ; les couronnes, les guirlandes se multiplient ; les personnages, de plus en plus nombreux, sont dépeints de manière naturelle et expressive. C’est le style dit « fleuri ».
Dès 370 avant J.-C. et pour une trentaine d’années, un nouveau terrain d’exportation amène une recrudescence d’activité dans les ateliers athéniens. Une poterie, dite « de Kertch » et caractérisée par l’emploi de plus en plus abondant de couleurs surajoutées, de blanc surtout, se répand dans certaines régions du monde grec. Les personnages rouges alternent avec les fleurs blanches et forment de hautes pyramides sur la panse des vases. Ce dernier élan de la céramique figurée s’arrêtera comme il est né, très rapidement : à l’époque hellénistique, le décor des vases exclut totalement les motifs figurés.
3. L'art hellénistique (ive–iie siècle av. J.–C.)


Le monde hellénistique est un monde prospère : jamais les architectes, les sculpteurs, les peintres n’ont été si nombreux, et si l’architecture religieuse n’est plus la préoccupation majeure, les édifices civils, les palais et les demeures privées rivalisent de luxe et de confort. Au-delà de la variété de leurs œuvres, le grand mérite des artistes hellénistiques est de traduire dans une forme très moderne les traditions de la Grèce des cités.
3.1. Un art sous influences


L'empire d'Alexandre et les débuts du monde hellénistiqueL'empire d'Alexandre et les débuts du monde hellénistique
L’art hellénistique est celui des cités grecques et celui des royaumes « barbares » – c’est-à-dire de population non grecque – conquis par Alexandre le Grand à partir de 336 avant J.-C. et gouvernés après sa mort par ses généraux, les diadoques, et leurs successeurs.
On parle aussi d’art hellénistique pour des peuples qui, s’ils ne sont pas soumis à des dirigeants grecs, s’ouvrent très largement aux influences artistiques grecques, comme les Étrusques et les Carthaginois ou certains peuples orientaux qui ont recouvré leur indépendance. Des sculpteurs comme Lysippe ou des peintres comme Apelle deviennent les portraitistes attitrés d’Alexandre : dorénavant, les commandes sont moins le fait des cités que des souverains.
Les nombreux contacts qui s’établissent entre les Grecs et les autres peuples permettent d'enrichir le répertoire de formes grec, qui adopte ainsi certains motifs égyptiens ou mésopotamiens et cherche à exprimer dans son propre vocabulaire artistique des thèmes étrangers. Le sarcophage dit « d’Alexandre », provenant de la nécropole phénicienne de Sidon (vers 305 avant J.-C.), en offre un bon exemple : les scènes de bataille et de chasse qui le décorent glorifient le défunt selon la tradition monarchique orientale, mais elles sont composées de motifs empruntés à l’iconographie grecque.
3.2. L'architecture religieuse en Asie Mineure

La libération des cités grecques d’Asie Mineure par Alexandre amène la construction de grands temples, souvent avec l’aide financière du conquérant. À Éphèse, le temple archaïque d’Artémis, qui avait été incendié au ive siècle avant J.-C., est relevé suivant le même plan et sur les mêmes dimensions ; mais les proportions des colonnes, le dessin des moulures témoignent de l’évolution de l’ordre ionique.
À Priène, où toute la ville est reconstruite suivant un plan orthogonal, la construction du temple d’Athéna est confiée à l’architecte Pythéos. Celui-ci, qui a déjà travaillé au mausolée d’Halicarnasse (secondé par des sculpteurs tels que Scopas), est un remarquable théoricien ; refusant l’ordre dorique, trop rigide pour se plier à ses combinaisons, il réalise une œuvre très savante sous sa simplicité apparente, où tout est calculé pour mettre en valeur le volume de la cella qui abrite la statue de culte. Ce temple passait dans l’Antiquité pour le prototype du temple ionique, et son influence sera considérable en Asie. On en retrouve notamment la trace dans le temple d’Apollon à Didymes.


Ces recherches théoriques sont poursuivies par Hermogène, l’architecte auquel on doit le temple d’Artémis, élevé vers 155 avant J.-C. à Magnésie du Méandre. L’architecture religieuse rejoint ici l’architecture civile, qui aime à enfermer les places dans un cadre de portiques servant à la fois de bureaux, de magasins, de promenoir et d’abri en cas d’intempérie. C’est alors que se crée, à Pergame dans les grandes cités ioniennes, à Athènes et même dans les cités les plus modestes, ce cadre urbain au décor scandé de colonnes, qui sera repris par Rome et qui reste associé dans notre esprit à l’image de la cité antique.
Pour en savoir plus, voir l'article Pergame
3.3. L'évolution du portrait sculpté


L’importance nouvelle prise par l’individu explique le développement de l’art du portrait, auquel les commandes d’Alexandre et de ses principaux généraux donnent une impulsion nouvelle. Les rois rendent cet art particulièrement populaire en faisant figurer leur effigie sur leurs monnaies, tandis que dans les statues monumentales, on allie l’idéal héroïque du corps à une recherche psychologique plus fine dans les traits du visage (Démétrios Ier, roi de Syrie).

La Vénus de Milo, sculptée vers 100 avant J.-C., s’inscrit dans la tradition classique du ive siècle, mais le traitement du corps, sa position, le jeu des courbes et des volumes montrent une profonde évolution depuis cette époque. Avec la Victoire de Samothrace (vers 190 avant J.-C.), où le vêtement accompagne et souligne le mouvement du corps, c’est le virtuose rendu des draperies qui retient particulièrement l’attention.
3.4. L’art alexandrin

Une cour royale joue un rôle particulier dans l’évolution de l’art hellénistique : celle des Ptolémées à Alexandrie, en Égypte, où règnent un luxe et un raffinement extrêmes dans l’aménagement des palais et dans les arts mineurs comme l’orfèvrerie. C’est là que se sont élaborées des formes nouvelles, au contact avec le monde égyptien.
De plus, capitale des derniers souverains hellénistiques, Alexandrie a exercé une influence de tout premier ordre sur l’art romain de la fin de la République. Presque rien n’a survécu de la cité des Ptolémées : on ne peut qu’essayer de la reconstituer à travers des descriptions littéraires et des œuvres d’inspiration alexandrine.
3.5. Mosaïques et peintures de l’art macédonien


Avant le développement d’Alexandrie, au iiie siècle, les palais de Pella et de Vergina, en Macédoine, montrent, dans leur relative simplicité, que l’architecture palatiale emprunte ses formes aux bâtiments civils. Les mosaïques relèvent davantage du dessin que de la peinture. Mais, si l’on se place à la fin de la période, on peut voir que des progrès ont été réalisés : l’agencement des pièces est beaucoup plus souple et plus adroit ; les mosaïques s’enrichissent vers un art d’influence alexandrine : dans un paysage « nilotique » de marais et de plantes d’eau s’ébat tout un peuple d’animaux aquatiques, hérons, canards, crocodiles, hippopotames, etc.
Mais, surtout, la décoration intérieure est dès lors le fait de grands peintres. On en retrace l’évolution d’après des copies (réalisées à Pompéi par exemple). Les artistes ne se satisfont plus de simples dessins sur un fond uniforme : leur palette cherche à rendre tous les effets de la couleur, jouant du clair-obscur ; leur science de la perspective permet d’étoffer les scènes, parfois placées dans un paysage naturel.
3.6. Le développement de l’architecture domestique

L’affaiblissement de l’esprit civique, l’affranchissement de l’individu provoquent dès le ive siècle un goût nouveau pour l’architecture privée. C’est à Pella, à Priène et, surtout, à Délos qu’on peut apprécier les progrès réalisés. Dans cette ville voisinent des maisons très modestes, tassées entre quelques rues, et de luxueuses demeures qui, à elles seules, occupent tout un îlot.
Très diverses, elles s’ordonnent toutes, cependant, autour d’une cour centrale, généralement bordée d’un péristyle, sur laquelle s’ouvrent les pièces de réception et d’habitation regroupées sur deux ou trois côtés ; au centre, une citerne, souvent recouverte d’une mosaïque, recueille l’eau. La maison de l’Hermès, aménagée en étages et tirant parti des dénivellations du site, témoigne, en outre, d’une recherche systématique dans l’accord entre le décor statuaire et le cadre architectural, recherche d’une harmonie d’ensemble caractéristique de l’époque.
3.7. La diversité des matériaux

Si la céramique est en déclin, ce qu'il est convenu d'appeler les arts mineurs brillent, en revanche, d'un vif éclat. On travaille l'or, l'argent, le bronze, et on aime tant la vaisselle métallique que même la poterie cherche à l'imiter (bols à reliefs, dits bols mégariens). Il faudrait ajouter à cet art raffiné les innombrables verreries, les bijoux, toute cette bimbeloterie d'art qui, d'Alexandrie, gagne le monde méditerranéen et, bien au-delà, fait pénétrer un art resté grec jusqu'au cœur même de l'Afghanistan.
4. Postérité de l’art de la Grèce antique

L'art grec ancien a joué un rôle de tout premier plan dans la formation du goût classique et dans l'histoire de l'art. Déjà, à Rome, il était considéré comme un modèle de référence, et l'on répertoriait les œuvres des grands artistes, que l'on faisait copier.
Ce mouvement n'a jamais cessé : il est particulièrement sensible à la Renaissance et au xviiie siècle, où l'Allemand Johann Joachim Winckelmann jette les bases scientifiques de l'histoire de l'art. Le xixe siècle conçoit l'art grec antique comme un être vivant dont la période archaïque serait la phase de formation et qui, après l'apogée classique, subirait la dégénérescence de la vieillesse. En fait, cette vision dérive de celle de l'histoire grecque et, surtout, de celle de sa littérature.
La théorie a connu longtemps un très grand succès, aboutissant à faire de l'art grec un miracle isolé de la raison humaine. Mais, depuis quelque temps, les archéologues mettent l'accent sur les apports des royaumes orientaux à de nombreuses époques, et les échanges avec le monde grec stricto sensu. C’est le cas par exemple de l'art hellénistique de Bactriane (découverte du site d’Aï-Khanoun en Afghanistan au cours du xxe siècle).

 

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