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JEAN-PAUL SARTRE |
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Jean-Paul Sartre
Philosophe et écrivain français (Paris 1905-Paris 1980).
Introduction
L'ensemble de la simple bibliographie de Sartre couvre, sous la couverture blanche et rouge de Gallimard, son éditeur de toujours, un peu plus de mille pages. C'est dire l'extraordinaire fécondité du dernier écrivain ensemble philosophe, romancier, essayiste et homme de théâtre. Ce littérateur protéiforme fut aussi le premier – et, à ce jour, le dernier – des « intellectuels engagés », témoins de leur siècle, toujours sur le front de tous les combats, quelque douteux qu'ils puissent paraître, a posteriori, aux censeurs qui, sur le coup, se dispensaient « courageusement » de prendre parti.
L'immense fortune critique de Sartre, à peine entamée par les contempteurs qui depuis sa mort ont enfin donné de la voix, tient dans ce concept d'« universel singulier » qui est au cœur de son œuvre : tout homme, dans sa solitude, témoigne pour toute la collectivité ; Sartre, dans son exemplarité absolue, d'ailleurs élaborée et préservée avec soin, est le grand témoin de son siècle – il est, comme on l'avait dit de V. Hugo seul avant lui, l'« homme-siècle ».
L'enfant dans la bibliothèque
Jean-Paul Sartre est né le 21 juin 1905 à Paris. Quelques mois plus tard, son père, Jean-Baptiste, meurt. Dans les Mots, son essai quasi autobiographique, quasi analytique, écrit en 1960, Sartre, disciple distancié de Freud, note : « La mort de Jean-Baptiste fut la grande affaire de ma vie : elle rendit ma mère à ses chaînes, et me donna la liberté. […] Ce n'est pas tout de mourir : il faut mourir à temps. Plus tard, je me fusse senti coupable ; un orphelin conscient se donne tort : offusqués par sa vue, ses parents se sont retirés dans leurs appartements du ciel. Moi, j'étais ravi : ma triste condition imposait le respect, fondait mon importance ; je comptais mon deuil au nombre de mes vertus. »
« Jusqu'à dix ans, je restai seul, entre un vieillard et deux femmes. » Cet enfant sans complexe d'Œdipe est élevé par son grand-père maternel : « C'était un homme du xixe s. qui se prenait, comme tant d'autres, comme Victor Hugo lui-même, pour Victor Hugo. » La comparaison n'est pas innocente : miroir décalé de ce grand-père qui « forçait un peu sur le sublime », Sartre se donne pour modèle le grand poète, et grand républicain, aux funérailles duquel tout Paris s'était pressé. Hugo avait dit, enfant : « Je serai Chateaubriand ou rien. » On peut imaginer le jeune Sartre se proposant un destin semblable – ne récrit-il pas en alexandrins, vers sept-huit ans, les Fables de La Fontaine ? Ses premiers fantasmes avoués sont d'arriver à la gloire par la littérature. Ses premières lectures l'y ont déterminé résolument.
Sartre est dès l'enfance un lecteur vorace – avalant les romans-feuilletons de son temps, Jules Verne ou Michel Zévaco (les Pardaillan, héros rebelles des temps de la Ligue). Sartre, comme il l'a raconté dans les Mots, entre en littérature très tôt, et la littérature oriente sa vie vers la littérature. Il est significatif que ses héros favoris, de Michel Strogoff à Pardaillan, soient des hommes d'action et, en général, des rebelles. Celui qui passera pour l'archétype de l'intellectuel fonde sa morale sur une esthétique de l'action qui n'a d'autre logique que celle du « panache », forcément de l'opposition. En même temps, ces romans populaires, « étranges romans, toujours inachevés, toujours recommencés ou continués, comme on voudra, sous d'autres titres, bric-à-brac de contes noirs et d'aventures blanches, d'événements fantastiques et d'articles de dictionnaires », constituent le modèle archaïque du roman sartrien, qui juxtapose volontiers le « grotesque sublime » à la Hugo et le « grotesque triste » flaubertien.
Entre un grand-père protestant et une grand-mère catholique, possédé par le besoin de croire (les métaphores bibliques et christiques abondent dans son œuvre, même si elles servent à chaque fois à exprimer une vision athée de la vie), il se réfugie dans le culte de l'art : son immense étude sur Flaubert (l'Idiot de la famille, 1971-1972) est aussi une forme d'autobiographie, dénonçant ce mythe littéraire de la forme, mythe bourgeois par excellence, qui a bercé son enfance et son adolescence.
Sartre le professeur
Sartre, « programmé » pour être bon élève, « caniche d'avenir », fait des études excellentes à Paris et à La Rochelle, où l'a entraîné le second mari de sa mère – polytechnicien haï, type même du « bourgeois » qu'il méprisera toute sa vie. Il prépare l'École normale supérieure à l'internat du lycée Louis-le-Grand, à Paris, tout en publiant ses premiers textes (l'Ange du morbide, Jésus-la-chouette) dans la Revue sans titre (1923) : les influences conjuguées de Flaubert, Goncourt et Maupassant, l'amour pour Jules Laforgue, Valéry ou Proust, la lecture assidue de Nietzsche et de Schopenhauer, le tout additionné d'autodérision, forment le premier Sartre.
Il est remarquable que ses lectures secondes l'orientent vers l'esthétique de l'art pour l'art, en littérature (« J'aurais rêvé de n'exprimer mes idées que dans une forme belle – je veux dire dans l'œuvre d'art, roman ou nouvelle »), et une certaine forme de nihilisme, en philosophie : « Je fais illusion, j'ai l'air d'un sensible et je suis un désert. » (Carnets de la drôle de guerre, 1939, édité en 1983). Ses premiers écrits sont d'ailleurs des contes philosophiques (Une défaite, récit des amours de Nietzsche et de Cosima Wagner, Er l'Arménien la Légende de la vérité parue dans Bifur) dignes d'un Platon qui aurait lu Flaubert.
À « Normale Sup », ses condisciples et futurs philosophes Raymond Aron ou Maurice Merleau-Ponty le considèrent déjà comme un génie : il a appartenu à Sartre d'être le dernier « grand homme » de la littérature française, et d'opérer en même temps la liquidation du concept de « grand homme ». Après Victor Hugo, Jean-Paul Sartre, après Sartre, plus rien.
Reçu premier à l'agrégation de philosophie en 1929 (après un échec, l'année précédente, qui avait surpris tout le monde), il rencontre Simone de Beauvoir, celle qu'il appellera le « Castor », compagne ou complice d'une vie (comme elle le racontera dans ses Mémoires d'une jeune fille rangée 1958, puis dans la Force de l'âge 1960, et dans la Force des choses 1963). Agrégée elle-même (en 1928), elle reconnaît en Sartre le « double qui répondait aux vœux de [son] adolescence » – mais un double instantanément reconnu supérieur. Sartre lui propose de l'épouser, elle ne peut se résoudre à sacrifier quelque parcelle de sa liberté à qui que ce soit, et conclut avec lui un « mariage morganatique », qui, malgré toutes les épreuves, les passades et les jalousies ponctuelles, malgré, surtout, la sollicitude de leurs amis, durera un demi-siècle, jusqu'à la mort de Sartre.
Beauvoir enseigne à Marseille, à Rouen, à Paris, Sartre, au Havre, à Laon, à Neuilly enfin : leurs trajectoires administratives finissent par converger, comme ont déjà convergé leurs trajectoires intimes.
Vers la prose et la célébrité
« Être à la fois Stendhal et Spinoza » – devenir ce que le sociologue Pierre Bourdieu appellera un « intellectuel total » : pour réaliser cet ambitieux programme, Sartre conjugue une immense culture philosophique, où s'imposent Husserl (et la phénoménologie), Kierkegaard et Heidegger (et l'existentialisme), et une immense culture littéraire : l'un des premiers, Sartre reconnaît l'importance de la littérature américaine du xxe s. : Hemingway, Hammett, Faulkner, Dos Passos. « Le monde de Dos Passos est impossible – comme celui de Faulkner, de Kafka, de Stendhal –, parce qu'il est contradictoire. Mais c'est pour cela qu'il est beau : la beauté est une contradiction voilée ». (Situations I, 1947). Il s'en inspire intelligemment pour son premier roman, et premier chef-d'œuvre, la Nausée (1938 – sous le titre « Melancholia », le même éditeur l'avait refusé l'année précédente) : « … Je suis, j'existe, je pense, donc je ballotte, je suis, l'existence est une chute tombée, tombera pas, tombera, le doigt gratte à la lucarne, l'existence est une imperfection. » (La Nausée, dernières lignes.) Le « comique métaphysique » de ce premier roman est, au fond, proche des pochades non moins métaphysiques que rédige Beckett à la même époque – au milieu de la montée des fascismes, en Italie, en Espagne, en Allemagne. Sartre annonce la « néantisation » de l'homme.
Les cinq nouvelles réunies dans le Mur, la même année, sont marquées du même talent pessimiste (« cinq petites déroutes, tragiques ou comiques »). Y émerge, avec « l'Enfance d'un chef », l'un des concepts centraux de la pensée sartrienne, le « salaud » – autre appellation, plus tonique, du conformiste, qui au cosmopolitisme trouble de l'inconscient, aux choix cruels de la liberté préfère l'univocité du nationalisme, et bientôt de la collaboration, et une vie rangée : « Combien il préférait aux bêtes immondes et lubriques de Freud, l'inconscient plein d'odeurs agrestes dont Barrès lui faisait cadeau. » (« l'Enfance d'un chef », in le Mur). À vrai dire, le « salaud » est une tentation permanente (peut-être aussi pour Sartre lui-même), une paresse de la pensée, contre laquelle la volonté doit se dresser sans cesse.
Philosophie et esthétique
C'est pendant et surtout après la guerre que Sartre trouvera, avec la philosophie de l'« engagement », le chemin de l'action, et celui de la liberté. Mobilisé pendant la « drôle de guerre », prisonnier, Sartre voit l'histoire faire irruption dans sa vie individuelle : toute sa conception du monde, et du rapport de l'être au monde, s'en trouve bouleversée. Libéré en 1941, il rentre à Paris et organise, avec Maurice Merleau-Ponty, un groupe de résistance (intellectuelle) à l'Occupation, et participe à diverses publications clandestines. Naturellement mal équipé pour l'action directe, souffrant d'un physique qui fera plus tard la joie des caricaturistes – mais dont il a fait très vite une image de marque –, Sartre s'engage au niveau où il peut être efficace, celui de la parole.
Sur le plan philosophique, (l'Imagination (1936), l'Imaginaire (1940) : « L'homme est une fuite de gaz par laquelle il s'échappe dans l'imaginaire ») et surtout l'Être et le Néant (1943) affirment la contingence de l'homme, sa déréalisation par l'imagination et son mode premier d'expression, la littérature (dans Qu'est-ce que la littérature ? il affirmera, avec ce sens de la formule qui n'appartient qu'à lui, que la littérature « est un trou dans l'être par où les êtres disparaissent »), ainsi que la contingence d'un dieu qui, de toute façon, n'est qu'une hypothèse dépassée : « La mort de Dieu a placé notre époque sous le signe du Père incertain. » On mesure à quel point de telles affirmations, de la part d'un écrivain dont le père s'était « absenté » si vite après sa naissance, ont pu déchaîner la manie analytique des biographes de Sartre, « bâtard » pour certains (Jeanson), « déshérité » pour d'autres.
Par ailleurs, Sartre développe la dialectique de la liberté : « L'homme ne rencontre d'obstacle que dans le champ de sa liberté » (L'Être et le Néant 1943), ou, si l'on préfère, l'exercice de la liberté n'est pas libre. Enfin, l'homme est de trop dans la logique du monde : être, c'est lutter avec l'aspiration au non-être.
Il est essentiel de souligner que la distinction entre philosophie et littérature, en ce qui concerne Sartre, n'est guère fonctionnelle. L'Être et le Néant, dans son analyse de la « mauvaise foi » notamment, informe sur Huis clos, écrit au même moment. Le Diable et le Bon Dieu est nourri, en 1947-1948, du travail théorique qui donnera finalement les Cahiers pour une morale. L'Idiot de la famille ostensiblement donné pour un travail sur Flaubert, est en fait la suite des Questions de méthode et de l'Imaginaire. La Nausée est, quant à elle, à en croire Sartre, un « factum sur la contingence » : la philosophie « donne les dimensions nécessaires pour créer une histoire […] Mon gros livre philosophique [l'Être et le Néant] se racontait de petites histoires sans philosophie ». Le trajet ne s'effectue d'ailleurs pas nécessairement de la philosophie (la théorie) vers le roman (la pratique ?) : telle description de la Nausée (la racine de marronnier) est la préparation, sur un mode narratif, de telles analyses de l'Être et le Néant sur la « potentialité » ou « l'ustensilité ». Écrire « L'engagement de Mallarmé » (en 1952 – mais l'article ne paraîtra qu'en 1979) ou « le Tintoret » (en 1957 puis 1961), c'est aussi réfléchir sur les rapports de l'individu et de l'histoire, tels qu'ils sont analysés dans la Critique de la raison dialectique (1960). « J'écris en tant de langues que des choses passent de l'une à l'autre », écrit Sartre, qui, lecteur de Nietzsche, sait bien que la philosophie peut aussi parler, comme Zarathoustra, la langue des dieux – et pas seulement le jargon auquel elle croit intelligent de se limiter : « Il y a souvent dans la philosophie une prose littéraire cachée. » Il y a même, dans le discours philosophique, insertion d'épisodes personnels exemplaires : l'Être et le Néant est parcouru de récits lyriques sur la caresse, le désir, la sensation du visqueux, qui sont Sartre tout entier. Le philosophe, régulièrement, cesse d'exercer une stricte censure sur son discours, ou plutôt sa philosophie est aussi dans cette impossible éradication de l'être.
Il est à noter, enfin, que cette philosophie qui conclut si fréquemment au néant de l'être est exprimée dans une langue si maîtrisée, et si personnelle, qu'elle met sur un piédestal le sujet écrivant qui prétendait s'y dissoudre : « Le style, ce grand paraphe d'orgueilleux », constate d'ailleurs Sartre, conscient des séductions de la langue sur ses lecteurs – et sur lui-même.
Ce style est sien surtout parce qu'il est intimement nourri d'autrui. On n'en finit pas de recenser ce qui, chez Sartre, est allusions, réminiscences, parodies et pastiches. Céline, qui le haïssait, lui reprochait, à juste titre, de lui emprunter certains tics verbaux. Démarquant Rimbaud (« Je est un autre », écrivait le poète), Sartre plaisante : « Je suis des autres. »
L'un des effets les plus évidents de cette langue est de rendre clairs, aux yeux du grand public, des philosophes (Heidegger, Husserl ou Kierkegaard – voir Situations IX) d'une grande complexité, sans jamais les réduire – mais, parfois, en les gauchissant pour en faire… des précurseurs de Sartre. Né dans une bibliothèque, Sartre est, à l'engagement près (mais l'adjonction est de taille), un parfait héros borgésien.
Chemins et impasses de la liberté
Sartre a conçu dès 1938 une trilogie romanesque, nommée alors « Lucifer », dont l'épigraphe est : « Le malheur c'est que nous sommes libres. » Les Chemins de la liberté (1945-1949), avec les titres successifs et emblématiques de l'Âge de raison, du Sursis et de la Mort dans l'âme, retracent le cheminement intellectuel d'un professeur de philosophie, Mathieu, qui va de ratages en démêlés sentimentaux, en quête de lui-même, « dans la bonace trompeuse des années 37-38 » (l'Âge de raison), l'histoire des personnages se mêlant étroitement aux événements politiques nationaux et internationaux (le Sursis), avant de se faire tuer, pour retarder de quelques instants l'avance allemande – pour rien : « Le corps est là, à vingt pas, déjà une chose, libre. » (La Mort dans l'âme.) On aura reconnu la référence évidente aux dernières lignes du roman de Hemingway, Pour qui sonne le glas, paru en 1938. Les romans de Sartre ne se dégageront jamais tout à fait d'influences exogènes. Le Sursis est un « à la manière de » Dos Passos, et la Nausée, dès l'épigraphe (une citation de l'Église), devait beaucoup à Céline.
Les héros romanesques de Sartre sont toujours entre deux hésitations – alors que les héros des pièces choisissent leur camp. Sartre prône l'action, et sera rarement un homme d'action ; moins par lâcheté, sans doute, que parce qu'il laisse l'action à ceux qui sont doués pour cela. Il est hautement significatif qu'il n'ait jamais rédigé que quelques chapitres du quatrième tome, projeté, des Chemins de la liberté, qui devait s'appeler « la Dernière Chance » et permettre aux principaux personnages de ce qui aurait été une tétralogie de retrouver leur liberté dans la Résistance.
Sartre tâte pour la première fois du théâtre avec Bariona, ou le Fils du tonnerre, pièce écrite, montée et jouée par lui au stalag où il est prisonnier en 1941. Mais c'est avec les Mouches (1943) qu'il s'impose au public. Dans cette nouvelle version du mythe d'Électre, Oreste finit par prendre toute la place. « Je suis trop léger, dit Oreste au premier acte. Il faut que je me leste d'un forfait bien lourd qui me fasse couler à pic, jusqu'au fond d'Argos. » Et à Jupiter, qui, jusqu'au bout, a soutenu l'assassin Égisthe, non parce que les dieux sont injustes mais parce qu'ils aiment l'ordre, et que le roi était l'instrument, cher à leur cœur, du remords généralisé, Oreste déclare hautement : « Je ne suis ni le maître ni l'esclave, Jupiter. Je suis ma liberté ! À peine m'as-tu créé que j'ai cessé de t'appartenir. » Électre, toute au remords de son crime, tremble devant l'idée – le spectacle de sa liberté – comme devant un horizon trop large : « Jupiter, roi des dieux et des hommes, mon roi, prends-moi dans tes bras, emporte-moi, protège-moi. Je suivrai ta loi, je serai ton esclave et ta chose, j'embrasserai tes pieds et tes genoux. Défends-moi contre les mouches, contre mon frère, contre moi-même, ne me laisse pas seule, je consacrerai ma vie entière à l'expiation. » Son frère seul se déclare responsable – parce que seul l'homme peut l'être, et que le remords le décharge de cette responsabilité qui le constitue et étaye sa liberté : « Vos fautes et vos remords, vos angoisses nocturnes, le crime d'Égisthe, tout est à moi, je prends tout sur moi. »
Dans cette pièce, présentée dans son « Prière d'insérer » comme une « tragédie de la liberté » (l'exact contraire des tragédies ordinaires, qui sont des mises en scène de la fatalité), les spectateurs de 1943 entendent une parabole sur les temps de l'Occupation. Égisthe, dans ses contradictions, est l'archétype du collaborateur, Jupiter, « dieu des Mouches et de la Mort », est l'occupant, Oreste, la figure du résistant. C'est une lecture un peu réductrice, qui ne se comprend que dans le contexte de la guerre, où tout était sans cesse soumis au filtre d'un décryptage.
Plus célèbre encore Huis clos (1944), vision d'un enfer qui ressemble fort à la vie ; trois personnages toujours sur scène, déjà morts, confrontés à leurs souvenirs, à leur cohabitation impossible et forcée, tendant des pièges, y succombant – la vie même : « Vous vous rappelez : le soufre, le bûcher, le gril… Ah ! quelle plaisanterie. Pas besoin de gril : l'enfer, c'est les autres. » (Huis clos).
L'engagement de Sartre
Suivront, après la guerre, les pièces « engagées » qui retracent les démêlés de Sartre avec le parti communiste, auquel il n'adhéra jamais et qui le combattit volontiers, sentant tout ce qu'il y avait en lui de peu obéissant. Si Morts sans sépulture (1946) reste tributaire de l'actualité de la Résistance, les Mains sales (1948) sont une pièce de combat sur l'obéissance au parti, mais aussi une réflexion sur l'acte et la responsabilité. Le héros, Hugo, se trouve, comme Oreste, trop « léger » : « Je me trouvais trop jeune ; j'ai voulu m'attacher un crime au cou, comme une pierre. » Hugo est l'idéalisme fait homme, tandis que Hoederer est le pragmatisme incarné : le plus étonnant est que ce théâtre « mythique », qui paraît, lorsqu'on le résume, chargé jusqu'à la gueule de bonnes intentions, fonctionne tout de même, et fonctionne très bien. Preuve paradoxale : les critiques qui pleuvent sur la pièce, reçue comme une critique de l'U.R.S.S. stalinienne. Fadeïev, secrétaire de l'Union des écrivains soviétiques, le traite de « hyène stylographe ». Le style « guerre froide » envahit la critique littéraire.
Mais, la même année (1948), Sartre a été mis à l'index par le Saint-Office. L'année précédente, aux États-Unis, la Putain respectueuse (écrite en quelques jours en 1947), qui développe avec efficacité la vision du racisme (et du conformisme) dans la société américaine intolérante de l'époque, a eu bien des problèmes avec la censure : Sartre, décidément inclassable, interpelle avec sauvagerie capitalistes et « socialistes ».
Nekrassov (1955) est une satire du journalisme « aux ordres » de l'époque. Mais le Diable et le Bon Dieu (1951) et surtout les Séquestrés d'Altona (1959) s'élèvent au-dessus des contingences historiques pour reformuler, inlassablement, les problèmes de la liberté et de l'obéissance – et de la difficile identification du mal dans l'histoire : « Siècles, voici mon siècle, solitaire et difforme, l'accusé… Acquittez-nous ! Mon client fut le premier à connaître la honte : il sait qu'il est nu. » (Les Séquestrés d'Altona). Là encore, la référence christique est évidente. Mais le détour par un mythe extérieur à la trame anecdotique de la pièce (la responsabilité personnelle et collective face aux horreurs du nazisme) permet à l'écrivain, sous le masque de l'exemple allemand, d'évoquer, de biais, un autre responsabilité, celle des Français face à la guerre d'Algérie, à une époque où il n'est pas permis de faire même allusion à la torture pratiquée là-bas par l'armée de « pacification ».
À la même époque, Sartre, dialoguiste virtuose, rédige plusieurs scénarios de films, qui resteront pour la plupart inédits, sauf Les Jeux sont faits (Delannoy, 1953) et « Typhus » (sous le titre : les Orgueilleux, Yves Allégret, 1957). Il écrit un très long scénario (durée prévue : sept heures…) sur la vie de Freud pour John Huston – qui réalisera le film (Freud, Passions secrètes, 1962) en coupant les trois quarts du texte de Sartre, qui, logiquement, fait retirer son nom du générique. Il adapte également au théâtre Kean, d'Alexandre Dumas (1953), dont il récrit presque complètement le texte afin de mieux mettre en valeur Pierre Brasseur, les Sorcières de Salem d'Arthur Miller (1955 – portées au cinéma par Raymond Rouleau en 1957), et les Troyennes d'Euripide (1965).
Morale et esthétique
La philosophie de Sartre (résumée dans L'existentialisme est un humanisme 1946) vise à fonder une morale, tout en constatant l'impossibilité de cette fondation autrement que par un coup de force, une négation momentanée de l'esprit critique. Ses Réflexions sur la question juive en 1946, constituent le premier effort pour penser avec rigueur la démarche antisémite qui a abouti aux camps d'extermination, à une époque où l'antisémitisme traverse encore, malgré l'Holocauste, toute la société française. Le premier, il décrit l'antisémite comme un être de passion, et non de conviction, qui a la « certitude des pierres » ou des menhirs – en tout cas, il n'est pas accessible à la raison, et ce qu'il présente comme un raisonnement est, au mieux, l'habillage d'un sentiment. « Si l'antisémite, écrit Sartre, est imperméable aux raisons et à l'expérience, ce n'est pas que sa conviction soit forte ; mais, plutôt, sa conviction est forte parce qu'il a choisi d'abord d'être imperméable. » (Réflexions sur la question juive 1946).
Le philosophe est un écrivain et aussi un critique. Qu'est-ce que la littérature ? (1947 – Sartre reviendra sur le sujet, dans une sorte d'écho interne, presque vingt ans plus tard dans son Plaidoyer pour les intellectuels) définit l'engagement de l'intellectuel : « On n'écrit pas pour des esclaves. L'art de la prose est solidaire du seul régime où la prose garde un sens : la démocratie. Quand l'une est menacée, l'autre l'est aussi. Et ce n'est pas assez que de les défendre par la plume. Un jour vient où la plume est contrainte de s'arrêter, et il faut alors que l'écrivain prenne les armes ».
Ses études sur Baudelaire (1947), Jean Genet (Saint Genet, comédien, et martyr 1952) ou Flaubert (l'Idiot de la famille) posent le problème central, au cœur de la vie de Sartre, de ce qui constitue la figure de l'écrivain. Ce goût pour les biographies est significatif, chez un homme qui a longtemps flirté avec l'autobiographie (et qui n'y a cédé, bien tard, que pour les Mots) : il se lit à travers les autres. La manière dont il utilise les concepts psychanalytiques pour décortiquer autrui témoigne d'une perversité redoutable. Ainsi l'étude sur Genet, en 1952 : « Dans tous mes livres, racontera Genet, je me mets nu et en même temps je me travestis par des mots, des choix, des attitudes, par la féerie. Je m'arrange pour ne pas être trop endommagé. Par Sartre, j'étais mis à nu sans complaisance. » Si un écrivain crée à partir d'un noyau obscur parfois même à lui-même, Sartre épluche Genet avec une impudeur totale, exhibant le mécanisme : « J'ai mis un certain temps à me remettre […] J'ai été presque incapable de continuer à écrire […] Le livre de Sartre a créé un vide qui a permis une espèce de détérioration psychologique. »
Revues et journaux : l'écriture de l'immédiat
Sartre fonde en 1945 les Temps modernes qui sera la revue dominante de l'intelligentsia de l'après-guerre. Il y accueille Camus, avant que des divergences importantes sur l'U.R.S.S. et la polémique sur le – nécessaire ? – aveuglement face aux crimes staliniens ne brouillent définitivement, en 1952, les deux hommes. Mais Sartre a pourtant cosigné l'article de Merleau-Ponty, en 1950, dénonçant les camps de concentration staliniens ; simplement, Sartre et Camus étaient tous deux trop brillants pour se tolérer longtemps.
Sartre présente dans les Temps modernes les chantres de la négritude – Senghor et Frantz Fanon en tête –, avant tout pour leurs qualités révolutionnaires : la poésie aussi participe du combat anticolonialiste, comme il l'explique dans sa préface incendiaire aux Damnés de la terre (Fanon, 1961).
Les Temps modernes couvrent aussi bien la littérature (les œuvres de Sartre lui-même y paraissent souvent en prépublication) que la sociologie (le Deuxième Sexe, de Simone de Beauvoir, y entame sa longue et brillante carrière de texte fondateur du féminisme contemporain) ou la politique (« les Communistes et la paix », 1952) : les textes de circonstance écrits par Sartre sont régulièrement rassemblés par Gallimard dans les différents volumes des Situations (de Situations I, 1947 à Situations X 1976). La revue verse aussi, parfois, dans la nécrologie : Sartre, à leur mort, y rend hommage à Camus (1960) ou à Merleau-Ponty (1961) – dont, à son tour, il s'était éloigné, comme en témoignent les Aventures de la dialectique, publiées par Merleau en 1955.
Sartre restera toute sa vie un homme de médias. Journaliste à Combat, il couvre – aux États-Unis – pour ce journal le retentissement de la conférence de Yalta. À France-Soir, en 1960, peu après l'arrivée de Castro au pouvoir, il publie un long article sur Cuba, « Ouragan sur le sucre ». Il prend après 1968 la direction nominale de la Cause du peuple, journal maoïste, puis de Révolution, journal trotskiste, et fonde Libération. Tiers-mondiste convaincu, il soutient le combat des Africains qui s'émancipent, Lumumba ou Senghor, et s'engage au côté des indépendantistes durant la guerre d'Algérie. De Gaulle, conscient du symbole qu'est devenu Sartre, répond à l'un de ses ministres, qui veut faire arrêter le philosophe pour activités subversives, après qu'il eut signé le « Manifeste des 121 » (contre l'usage de la torture en Algérie) : « On n'emprisonne pas Voltaire ».
Le flirt avec le P.C.F. reste constant, et très théorique. Dans la préface à la réédition de Aden Arabie, de Paul Nizan, il réhabilite avec fougue son ami disparu, qui fut traîné dans la boue par les communistes. En 1956, il prend très violemment position (dans l'Express) contre l'intervention soviétique en Hongrie, et, s'il participe au « tribunal Russell » en 1966 (contre les crimes américains au Viêt Nam), il s'indigne, dans Paese Sera, de l'écrasement du printemps de Prague par les chars russes.
On a reproché au philosophe certaines fluctuations, alors qu'il est au contraire un pôle fixe dans un monde en mutation où chacun prend d'ordinaire le vent. Ainsi, il est favorable à la création de l'État d'Israël mais il condamne la politique sioniste d'élimination des Palestiniens dès la fin des années 1960 : entre ces deux positions, il n'y a nulle contradiction ; dans les deux cas, Sartre est du côté de l'oppressé, contre l'oppresseur – Pardaillan, toujours. Soutien critique du P.C.F. (« un anticommuniste est un chien, je n'en démordrai pas » – mais, en même temps, tout en Sartre s'oppose au respect d'une quelconque « ligne »), il dénonce avec Merleau-Ponty les camps de concentration staliniens, et, en 1967, refuse de participer au Xe congrès des Écrivains soviétiques, par solidarité avec les dissidents Siniavski et Daniel, emprisonnés. Toute sa vie, il reste fidèle à l'idée des « causes justes » – et il est un peu vain, très parisien, et très pharisien, de lui reprocher rétrospectivement de n'avoir pas eu le discernement aiguisé que donne forcément le recul historique à ceux qui, sur le coup, refusent prudemment de s'engager.
L'homme de tous les combats
C'est l'humaniste inlassable que couronne le prix Nobel de littérature en 1964 – et c'est le politique intransigeant qui le refuse, fait unique dans l'histoire du Nobel.
Miné par l'hypertension et la myopie (il sera presque aveugle à partir de 1974), Sartre continue jusqu'à sa mort à soutenir les causes les plus diverses, en particulier celles des femmes, que défend aussi Simone de Beauvoir, et à voyager dans tous les pays où il estime que sa voix peut être entendue. Ensemble, ils voient Castro et Che Guevara à Cuba en 1960, ils visitent la Yougoslavie de Tito, vont, malgré tout, en U.R.S.S. ou en Tchécoslovaquie, en Égypte et en Israël (1967). Sartre s'implique fortement dans les activités gauchistes, après 1968 (on est allé jusqu'à faire de Mai une « révolution sartrienne » – quoi qu'on en pense, l'affirmation témoigne de son audience auprès de la jeunesse du baby-boom). Il couvre de son nom, en assurant leur direction officielle, des publications d'inspiration maoïste ou trotskiste menacées par la censure. Il crée le Secours rouge, organisation de lutte contre le pouvoir pompidolien. Il va de meeting en meeting, soutenant les « illégalités légitimes », bel oxymore résumant dialectiquement son opposition à tous les pouvoirs, à toutes les scléroses. L'ensemble de sa réflexion sur le « mouvement » sera publié dans Situations VIII (1972). Après avoir soutenu, du bout des dents, la candidature de Mitterrand à la présidentielle de 1965, il renonce en 1973 à imaginer qu'un changement significatif quelconque puisse sortir des urnes – on lui doit l'immortel slogan « Élections, piège à cons ». Jusqu'au bout (il est encore, avec Raymond Aron, retrouvé, au-delà des divergences idéologiques, à la tribune lors de la conférence de presse du comité « Un bateau pour le Viêt Nam » en 1979), il s'engage pour toutes les « justes causes » – Pardaillan, encore et toujours.
Sa mort, le 15 avril 1980, est l'occasion d'un immense défilé populaire à Paris – là encore, il sera le seul à pouvoir rivaliser avec Hugo.
Simone de Beauvoir raconte, dans la Cérémonie des adieux (1981), sa dernière vision, bouleversante, de Sartre – elle fait suivre le livre de la transcription de ses Entretiens, et la voix du philosophe semble résonner d'outre-tombe avec une force étonnante.
Sartre laisse une masse impressionnante de textes inachevés, qui témoignent de son extraordinaire boulimie d'écriture : un livre sur l'Italie (la Reine Albemarle et le Dernier Touriste), le tome II de la Critique de la raison dialectique (publié en 1986), Cahiers pour une morale (en 1983), le volume IV de l'Idiot de la famille, les pages esquissées de Pouvoir et Liberté, écrit en collaboration avec Benny Lévy, le plus « intellectuel » des gauchistes issus de mai 1968 (un entretien, en mars 1980, entre Lévy et Sartre, dans le Nouvel Observateur qui, sous le titre de « L'espoir maintenant », faisait le point sur leur travail commun, et néanmoins dialectique, fit rugir une bonne partie de la nouvelle intelligentsia). Les Carnets de la drôle de guerre paraissent en 1983 – suivis des Lettres au Castor, et, encore, le scénario complet du film sur Freud, publié en 1984 …
Au final, on en revient à cette bibliographie sidérante, gigantesque, qui suffit largement à témoigner de ce que fut Sartre, bien mieux que les biographies anecdotiques parues depuis sa mort : homme-bibliothèque, Sartre ne fut pas autre chose que ce qu'il écrivit, l'homme de tous les mots.
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LES HOMMES PRÉHISTORIQUES ET LA RELIGION |
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Les hommes préhistoriques et la religion
André Leroi-Gourhan dans mensuel 331
daté mai 2000 -
La structuration des figures animales et des signes peints ou gravés dans les grottes démontre l'existence de religions pendant la préhistoire. Leur signification précise nous échappe toutefois, comme nous échappent les gestes rituels dont ils étaient le décor.
Au premier chef, il semble qu'il faille, au préhistorien tout au moins, adopter une définition élargie et en quelque sorte ouatée du phénomène religieux, qui n'est pas formellement séparable des phénomènes d'élaboration symbolique liés au langage et à l'activité gestuelle. En d'autres termes, le religieux, dans la mesure de l'information préhistorique, peut-il être distinct de l'esthétique et de toute forme de l'imaginaire ? Le fait que le plus clair des arguments invoqués tourne autour du cadavre et de l'oeuvre d'art apparaît alors moins comme une coïncidence que comme un truisme, la mise en évidence d'une réalité fondamentale, non spécifique sinon de l'homme universel et par conséquent non significative au plan où l'on souhaiterait se situer. Mais c'est une ouverture vers le rapport étroit de l'imaginaire et du langage, ce qui porte l'investigation sur un champ moins fermé qu'il n'apparaît de prime abord.
En effet, la paléontologie des anthropiens, depuis les formes qui remontent à plus d'un million d'années jusqu'au Paléolithique supérieur de - 35 000 à - 9 000, rend compte de l'évolution volumétrique du cerveau et du développement progressif des territoires corticaux associés à une détermination de plus en plus fine de la motricité volontaire. Or les territoires dont l'expansion est privilégiée répondent à la face, à la langue, au larynx et à la main, matérialisant sur la face interne de la boîte crânienne des anthropiens fossiles le perfectionnement simultané du langage et de l'activité manuelle. A partir d'un seuil du développement des territoires fronto-pariétaux, seuil qui se situe dans la période immédiatement antérieure à l'expansion de l' Homo sapiens approximativement - 50 000 - 30 000 apparaissent les premières manifestations d'une activité esthétique sous forme de la recherche de l'ocre rouge, de minéraux de forme singulière coquillages fossiles ou pierres bizarres, griffonnages indistincts sur des blocs et sur des fragments d'os. C'est aussi de cette époque que datent les premières sépultures connues. Si le langage est perdu, les oeuvres de la main portent donc témoignage de l'entrée des anthropiens dans l'expression symbolique. Par le détour de l'anthropologie physique, les rapports virtuels entre langage et émergence dans l'abstrait, entre soins au mort et activité figurative se trouvent approfondis, et les limites du religieux possible situées quelque temps avant l' Homo sapiens . Ce « quelque temps » est d'ailleurs à considérer à l'échelle géologique, car le jour qui s'est levé sur l'art des cavernes a été précédé d'une aube et d'une aurore prolongées.
Il est donc difficile de séparer la religion et l'activité esthétique au sens le plus large : l'ensemble des manifestations répond à un processus d'exaltation sociale, de multiplication des symboles, qui est à prendre comme un tout. Ici, la comparaison ethnographique peut légitimement jouer, car elle porte sur le comportement fondamental de l'homme à partir d'un certain point de son évolution : tous les groupes humains, et notamment ceux qui sont réputés archaïques offrent les mêmes recoupements entre la parure, les amulettes, les instruments de la magie, les insignes sociaux, le décor du palais et du temple, les mêmes symboles pouvant couvrir simultanément ou successivement les différentes zones de l'enveloppe intellectuelle de la société. Il convient donc de considérer d'abord les témoins par catégories concrètes sépulture, objets, plaquettes et blocs mobiles décorés, parois décorées, de rechercher ce qu'ils peuvent avoir de commun ou de particulier, c'est-à-dire s'efforcer de retrouver au moins une partie du réseau qui les liait les uns aux autres de manière significative, et non s'efforcer de faire entrer les faits dans des catégories abstraites comme rituel, magie, envoûtement, clans, totémisme.
Un peu avant 1870, les objets décorés par les chasseurs de mammouths du Paléolithique supérieur ont commencé à retenir l'attention : par contre l'art des cavernes n'a percé que presque un demi-siècle plus tard. Attribuées initialement à des élans purement artistiques, les oeuvres sont entrées dans le dossier de la religion fossile au début du XXe siècle, sous l'inspiration des travaux ethnologiques qui révélaient les liens entre art et religion chez les derniers chasseurs des confins du monde habité. Les figures paléolithiques sont essentiellement des représentations d'animaux, d'êtres humains relativement rares, de symboles génitaux concrets ou abstraits qui n'existent pratiquement que dans les grottes. Les pionniers de la recherche sur l'art des cavernes sont symbolisés par l'abbé Henri Breuil, qui marqua d'une empreinte prestigieuse les travaux de la première moitié de notre siècle. Pour lui, ou pour ses partisans, l'art paléolithique aurait été essentiellement magique : l'envoûtement, la capture des esprits, une sorte de chamanisme, des rites de fécondité auraient commandé l'exécution des objets mobiliers comme celle des décors pariétaux. Les figures sur parois répétées à la mesure des besoins de la tribu se seraient succédé au cours des millénaires, au point de constituer des nuages d'images aussi denses que ceux d'Altamira ou de Lascaux. Un peu à l'insu des inventeurs d'explications, assez souvent modérés dans leurs élans, toute une imagerie s'est ainsi créée autour de l'homme préhistorique, imagerie copieuse mais pauvre, où totémisme, initiation, chasse simulée, danses masquées, juments gravides ont alimenté pendant un demi-siècle une littérature qui a progressivement pénétré dans les masses.
En 1957, Mme Laming-Emperaire a émis, après l'étude de deux des principaux ensembles peints de France Lascaux et Pech-Merle, une série de vues qui tranchaient nettement sur les positions traditionnelles. Dans leur contenu, ces vues conduisaient à considérer les figures des cavernes comme organisées en compositions significatives, et non comme l'accumulation anarchique de figures d'époques successives. Le thème autour duquel les différentes figures gravitaient était constitué par l'association constante du bison ou de l'aurochs avec le cheval. Ce résultat très important convergeait avec les travaux que je poursuivais moi-même à cette époque, travaux qui ont eu pour base de départ l'art pariétal dans sa chronologie, puis qui se sont développés dans une analyse quantitative du groupement des figures dans les différentes régions des panneaux décorés ou de la caverne tout entière. Il en est ressorti un schéma complexe, comme il était naturel dans l'étude d'une centaine de sites distribués sur une large partie de l'Europe occidentale durant près de 20 000 ans. Dans l'art mobilier, les animaux ou les figures humaines apparaissent tantôt isolés, tantôt groupés suivant les principes qui seront décrits ci-dessous. Dans l'art pariétal, du fait que les figures sont restées fixées sur les parois, là où l'homme paléolithique les a tracées, il est plus facile de constater la nature des associations entre les sujets.
Il n'existe pas de caverne où une seule espèce soit représentée, sinon par un individu encore ce cas est-il statistiquement inexistant : en majorité écrasante, les espèces vont par deux suivant la formule cheval-boviné groupe A-B ; avec une fréquence moindre apparaît un troisième élément : cerf, mammouth, bouquetin ou renne groupe C qui est souvent limité à une seule espèce mais peut aller jusqu'à comporter les quatre. La formule la plus fréquente est par conséquent A-B-C. Avec une moindre fréquence encore, on peut voir s'ajouter l'ours, le grand félin, le rhinocéros groupe D, par une seule espèce ou dans les mêmes conditions que pour le groupe C. La formule complète A-B-C-D se rencontre par exemple à Lascaux suivant les régions de la caverne : cheval-aurochs-bouquetin, cheval-bison-cerf, cheval-bison-rhinocéros, cheval-aurochs-ours, cheval-bison- bouquetin-félin.... On verra plus loin que cette répartition est fonction d'une certaine disposition spatiale. A peu d'exceptions près, le schème fondamental de l'art pariétal et dans une mesure notable de l'art mobilier est donc, pour les animaux, une triade A-B-C ou A-B-D éventuellement A-B-C-D avec des proportions numériques qui sont de 27 % pour le groupe A, 28 % pour le groupe B, 32 % pour le groupe C mais avec des fréquences suivant les espèces, qui vont de 9 % pour le mammouth à 0,3 % pour le daim à bois géants, 3,5 % pour l'ensemble du groupe D. Les 10 % qui restent vont à des figures rares : poissons, serpents, oiseaux, carnassiers autres que le félin et l'ours.
Les signes S se répartissent eux aussi en deux catégories fondamentales S1-S2 et une catégorie complémentaire S3 dans laquelle il n'est jusqu'à présent pas établi une différenciation comparable à celle qui existe entre C et D. La catégorie S1 est constituée par des symboles génitaux féminins qui vont de la représentation complète de la femme au torse avec représentation du sexe, à la vulve réaliste, à des figures de plus en plus stylisées en ovale, en triangle, en cercle, en rectangle, avec ou sans indication d'une fente à la partie inférieure. Ces différents mondes de figuration marquent une évolution dans le temps et dans l'espace, et j'ai été conduit à les interpréter comme symboles féminins au cours d'un travail qui était orienté uniquement sur leur valeur comme jalons chronologiques et régionaux. Les signes des catégories S3 et S4 correspondent à des variantes sur le symbole génital masculin figuré par l'homme complet, par le phallus, par des représentations d'un schématisme croissant qui se résolvent en bâtonnets crochus ou barbelés, en traits simples, doubles ou multiples, en lignes ou en nappes de points, voire en un point unique. Comme les animaux, les signes répondent à un dispositif fondamental binaire S1-S2 qui assez souvent prend un caractère ternaire par le voisinage de deux formes différentes de symboles masculins ; de sorte qu'à un signe S1 se trouvent associés par exemple un bâtonnet et une nappe de points S1-S2-S3.
Animaux et signes répondent par conséquent aux mêmes formules fondamentales, logiquement binaires et encore accusées par le fait que les animaux de même espèce apparaissent fréquemment par couples mâle-femelle. Mais le dispositif est moins simple que ne laisserait supposer une explication uniquement fondée sur la symbolique de fécondité : l'élément initial est la présence de deux espèces A-B cheval-boviné confrontées à deux catégories de signes masculins et féminins. On serait donc tenté d'attribuer au cheval et au bison la même valeur symbolique ou tout au moins une bivalence d'un même ordre qu'aux symboles des deux catégories S1 et S2. Enfin, il faut souligner comme une notion indispensable pour mesurer le caractère abstrait du système figuratif paléolithique qu'il n'existe jusqu'à présent dans l'art pariétal comme dans l'art mobilier aucune représentation réaliste d'accouplement animal ou humain.
Il ne faut pas se méprendre sur le caractère du témoignage : la décoration pariétale des grottes est comme la décoration murale des sanctuaires ultérieurs, elle livre un assemblage symbolique de figures qui ne matérialise pas des rites mais qui en était le décor. Les traces que peuvent avoir laissées les rites ne sont pas sur les parois décorées mais à leurs pieds et sur le sol généralement anéanties par les visiteurs. En marge des grandes représentations, on rencontre effectivement, dans des cas privilégiés, des graffitis, des empreintes de pas humains, l'impression de pattes d'animaux coupées et appliquées sur l'argile, des signes tracés au doigt sur les parois molles, c'est-à-dire les très modestes témoins qui subsistent d'actes dont le déroulement s'est fait dans le cadre des grandes images.
La décoration pariétale, elle-même, répond à une formule si générale que son contenu mythologique est pratiquement insaisissable. On perçoit très bien qu'une métaphysique de la mort et de la fécondité a pu sous-tendre les représentations, mais vingt contenus ont pu, au cours des millénaires et dans les différentes régions, entrer dans la formule binaire-ternaire d'association des animaux et des signes. La religion préhistorique est démontrée, mais dans une formule abstraite ; sa richesse et sa complexité sont perceptibles dans les variantes de la formule initiale, mais les explications des préhistoriens sur le chamanisme, les totems, la division des clans, l'envoûtement du gibier, la magie de fécondité, les rites d'initiation sont du domaine de l'hypothèse de cabinet, vraisemblable parce que tout est dans l'homme et que celui du Paléolithique supérieur est un homme pleinement réalisé, mais gratuite parce que fondée directement sur des matériaux qui ne peuvent apporter que des preuves indirectes. Cette erreur de méthode a permis la naissance d'une légende dorée, mais elle a coûté pendant presque un siècle de nombreuses occasions d'observer les traces, encore visibles lors de la découverte, de ce qui pouvait apporter un témoignage direct sur les actes.
UN LONG MÛRISSEMENT
Peu de préhistoriens ont osé aborder de front la question religieuse. Pour André Leroi-Gourhan, qui s'est attaché à reconstituer les modes de vie des populations du Paléolithique sous tous leurs aspects, l'existence même des grottes ornées et de l'art mobilier imposait qu'il s'y intéresse. Il le fait, d'abord par de petits articles puis, en 1964, dans un livre Les R eligions de la préhistoire . Comme pour les très nombreux sujets qu'il a étudiés, il y revient à de nombreuses reprises, à l'occasion de fouilles nouvelles qui posaient de nouvelles questions, ou plus simplement parce que sa réflexion se précise. Cette étude des religions mobilise ses compétences dans les différentes disciplines auxquelles il a été formé : anthropologue physique, il déduit les capacités cognitives des hommes de leur morphologie ; ethnologue, il adapte et développe des modèles structuralistes ; archéologue, il propose la reconstitution des gestes qui ont produit les objets étudiés ou qui se sont déroulés en leur présence. L.A.
SAVOIR
A lire :
-A. Laming-Emperaire, La S ignification de l'art rupestre paléolithique , Paris, Picard, 1962.
-A. Leroi-Gourhan, Le G este et la P arole , tome 1 : Technique et langage , Paris, Albin Michel, 1964.
-A. Leroi-Gourhan, Les R eligions de la préhistoire P aléolithique , Paris, PUF, 1990.
-A. Leroi-Gourhan, Préhistoire de l'art occidental , édité par Brigitte et Gilles Delluc, Paris, Mazenod, 1995.
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MÉGALITHE |
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Plan
* mégalithe
* Données chronologiques
* Techniques de construction
* Les outils
* Les pierres
* La mise en place
* Les dalles de couvertures
* Le déplacement des pierres
* Les mégalithes dans le monde
* Les mégalithes d’Europe
* Typologie des mégalithes d’Europe
* Les menhirs ou pierres isolées
* Les regroupements de menhirs
* Les dolmens
* Les temples mégalithiques
* Un savoir-faire transmis
* L’interprétation des mégalithes
* Lieux de légendes
* Des monuments fascinants
* Signes de continuité
mégalithe
Cet article fait partie du dossier consacré à la préhistoire.
Monument préhistorique formé d'un ou de plusieurs blocs de pierre.
Les mégalithes – pierres isolées, alignées, ou monuments – sont avant tout des expressions architecturales témoignant d'acquis technologiques et d'un degré d'organisation sociale remarquables. Leur présence dans les différentes parties du monde est attestée à des périodes séparées parfois de plusieurs milliers d'années – ils appartiennent à la préhistoire en Europe et dans le Bassin méditerranéen, à l'histoire parfois contemporaine dans d'autres régions –, et ils ne sont plus considérés comme des indices de diffusion d'une civilisation ou d'une religion.
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* Les principaux types de mégalithes sont : les menhirs, pierres dressées commémoratives ou jalons de systèmes rectilignes (alignements) ou circulaires (cercles ou cromlechs), interprétés comme des sanctuaires à cultes astraux (Carnac et Stonehenge) ; les dolmens, monuments funéraires, souvent recouverts d'un tumulus ; formant parfois des allées couvertes.
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Données chronologiques
La majeure partie des monuments mégalithiques sont, à l'origine, des formes de sépultures collectives, et les plus anciens apparaissent au Ve millénaire avant notre ère. Ils semblent donc contemporains des débuts de l'agriculture en Europe occidentale, depuis le sud du Portugal (monument I de Poço de Gateira dans le Haut-Alentejo) jusqu'en Bretagne (tumulus de Barnenez à Plouézoc'h) et au-delà. L'apogée du mégalithisme occidental se situe au cours de la seconde moitié du IVe millénaire avec les sites de Stonehenge et d'Avebury en Angleterre, Newgrange en Irlande, Gavrinis, Carnac, Bagneux (banlieue de Saumur) en France, Antequera dans la péninsule Ibérique, auxquels on peut ajouter ceux, particulièrement riches, de Ggantija de Tarxien et de Hal Saflieni dans l'archipel de Malte, pour le monde méditerranéen. Pour les autres régions du monde, les données sont nettement plus fragmentaires. Toutefois, des mégalithes sont encore érigés de nos jours dans certains pays, comme Madagascar, ou dans l'île de Nias, en Indonésie.
Les monuments les plus importants montrent, en général, plusieurs phases d'aménagement successives, étalées parfois sur plus d'un millénaire : c'est le cas du grand site de Stonehenge dans la plaine de Salisbury. La date et la durée des périodes d'occupation sont des données primordiales.
Techniques de construction
Les dimensions des éléments constituant les monuments mégalithiques posent les problèmes de leur extraction, de leur transport, de leur érection et de leur assemblage. Certaines dalles de couverture de dolmen pèsent plusieurs dizaines de tonnes, le grand monolithe de Locmariaquer (Morbihan) atteignant plus de 350 t. Bien qu'en général les carrières d'extraction des pierres ne soient pas très éloignées des sites d'édification, des trajets de plusieurs centaines de kilomètres ont parfois été effectués : ainsi, les pierres bleues de Stonehenge ont été acheminées depuis le pays de Galles.
Les outils
Les outils sont essentiellement des pics en bois de cerf, pour déchausser les blocs, et des omoplates de bovidés, pour enlever les déblais ; on en a retrouvé dans des exploitations préhistoriques (notamment des galeries de mines de silex). En outre, des percuteurs en roches siliceuses, surtout en silex, devaient être utilisés pour provoquer des fractures par bouchardage dans les roches les plus dures, tel le granite ; des coins de bois enfoncés dans ces anfractuosités étaient mouillés pour faire éclater la roche par gonflement. Des outils semblables ont été expérimentés avec succès sur le site de Bougon (Deux-Sèvres).
Les pierres
Paraissant souvent brutes ou frustement taillées au premier abord, les pierres sont le plus souvent habilement extraites de leur affleurement géologique d'origine, en fonction des propriétés physiques des roches. Les constructeurs semblaient dominer parfaitement l'utilisation des discontinuités naturelles, comme les plans de stratification sédimentologique des grès et des calcaires, les plans de schistosité des roches métamorphiques ou les plans de faiblesse non apparents liés à l'anisotropie des massifs de granite ou des filons de dolérite (fil de nos carriers actuels).
Ces éléments lithiques se trouvent parfois appareillés dans de grands édifices à l'organisation complexe, ou simplement redressés, le plus souvent dans un point remarquable de la topographie ou du paysage anthropique de l'époque. Il est souvent difficile de s'en rendre compte actuellement, car ils ont été couramment déplacés au cours de l'histoire – quand ils n'ont pas été détruits pour des raisons agricoles ou d'urbanisme.
La mise en place
Les techniques de mise en place des orthostates ont été déduites à partir des fouilles montrant le creusement d'une fosse asymétrique et le plan de disposition des pierres de calage, et grâce à des reconstitutions, notamment celle réalisée par Thor Heyerdahl dans l'île de Pâques.
Les dalles de couvertures
Le montage de ces dalles peut s'effectuer par empilements successifs de troncs d'arbres ; lorsque la hauteur voulue est atteinte, les monolithes supports sont calés sous la dalle, soulevée par des leviers de bois, puis l'échafaudage est détruit par le feu. Une autre façon de procéder consiste à remorquer la dalle le long d'un plan incliné abondamment couvert de graisse jusqu'à sa position définitive sur ses montants.
Le déplacement des pierres
Il peut s'effectuer à l'aide de traîneaux, comme le montrent certaines fresques égyptiennes décrivant la traction de statues monolithiques colossales. Des rondins de bois, réutilisés au fur et à mesure de la progression, permettent aussi le déplacement des charges les plus lourdes dès lors que la résistance du sol est suffisante. En Asie du Sud-Est, la technique du « palong » est encore utilisée de nos jours : sur le sol aplani, on dispose des madriers recevant, dans des encoches, des traverses taillées pour être au même niveau. L'ensemble de la structure est alors enduit de graisse, et le monolithe est halé sur ce « chemin de bois ». Au début du xxe s., 520 hommes tractèrent une pierre de plusieurs dizaines de tonnes sur des pentes supérieures à 40 % dans l'île de Nias (Indonésie). Il semble que la traction par des hommes, capables de réagir très rapidement à un problème imprévu, soit beaucoup plus efficace que la traction animale.
Ces travaux devaient être effectués à des périodes de l'année où la mobilisation de la population ne risquait pas de mettre en péril l'activité agricole. De nos jours, ils donnent toujours lieu à des festivités importantes.
Les mégalithes dans le monde
Dès le xixe s., l'archéologue écossais James Fergusson rend compte, d'après ses propres observations en Europe, à Malte, en Algérie, en Palestine, en Éthiopie, au Soudan, dans le Caucase, en Perse, au Baloutchistan, au Cachemire et jusqu'en Inde centrale et méridionale, de l'universalité des constructions mégalithiques. D'autres sites ont été reconnus depuis, dans la région de San Agustín (Colombie), en Mandchourie, en Corée. Au Japon, les pratiques mégalithiques atteignent leur apogée au ive s. avant notre ère avec le tumulus en trou de serrure de l'empereur Nintoku (486 m de long pour 36 m de haut) et cessent à la fin du viie s. Des monuments mégalithiques se trouvent également en Malaisie, en Indonésie et au Yémen. En Afrique, certaines régions présentent une densité exceptionnelle. On estime entre trois mille et quatre mille le nombre de dolmens composant la nécropole du djebel Mazela à Bou Nouara, en Algérie orientale. Dans le sud de l'Éthiopie, la province de Sidamo représente la plus grande concentration de mégalithes du monde, avec plus de dix mille pierres phalliques et stèles gravées. Des gisements mégalithiques ont été décrits dans la région de Bouar, en République centrafricaine. La Gambie est également riche en cercles de pierres, dont certaines sont taillées en forme de lyre. Le Mali possède un ensemble de monolithes phalliques situé au cœur du delta intérieur du Niger, à Tondidarou, et daté de la fin du viie s. de notre ère. La région de la Cross River au Nigeria montre de beaux monolithes anthropomorphes. Madagascar, enfin, qui n'est touchée par le mégalithisme que depuis trois siècles, constitue une mine de renseignements concernant les motivations des populations qui réalisent de tels monuments.
Les mégalithes d’Europe
Le versant atlantique de l'Europe concentre les constructions les plus anciennes et les plus complexes. Les régions méditerranéennes comptent des ensembles remarquables et, en France, l'Aveyron est le département le plus riche en mégalithes.
Typologie des mégalithes d’Europe
Le professeur Glyn Daniel, de l'université de Cambridge, distingue quatre groupes de monuments en Europe.
Les menhirs ou pierres isolées
Ces pierres, parfois gravées, peuvent dépasser 20 m de haut, comme le menhir brisé de Locmariaquer. Certains menhirs sont réutilisés dans d'autres monuments, tel celui de 14 m de long dont un fragment constitue la dalle de couverture du dolmen de Gavrinis, et un autre celle du dolmen de la « Table des marchands » (Locmariaquer). On trouve, dans le sud de la France, en Corse du Sud (site de Filitosa), en Italie du Nord ou en Espagne, des menhirs qui sont de véritables sculptures anthropomorphes ou phalliformes.
Les regroupements de menhirs
Disposés selon un plan d'ensemble, les menhirs forment un ou plusieurs cercles ou ellipses, ou des alignements (Carnac, en Bretagne). Les anneaux de pierres s'inscrivent parfois dans des ensembles comprenant fossés et remblais (par exemple à Avebury, dans le sud de l'Angleterre). Dans la même région, le complexe de Stonehenge, caractérisé par des trilithes, a été construit en six étapes réparties sur deux millénaires (entre 3100 et 1100 avant J.-C.). La théorie faisant passer ce site pour un véritable observatoire astronomique est controversée.
Les dolmens
Assimilés le plus souvent à des chambres funéraires collectives, les dolmens sont les constructions mégalithiques les plus répandues (environ 50 000 du Portugal à la Scandinavie). Les uns étaient, et sont encore parfois, recouverts d'un tumulus de pierres. Certaines chambres présentent un toit constitué par un encorbellement de pierres sèches : la voûte de Newgrange, construite depuis 5 500 ans, s'élève à plus de 6 m du sol. Plusieurs monuments sont orientés de façon très précise par rapport au soleil, notamment à Newgrange, Gavrinis et Stonehenge.
Les temples mégalithiques
Situés dans les îles voisines de Malte – qui longtemps n'ont été considérées que comme un relais entre le monde égéen et l'Europe de l'Ouest –, les temples mégalithiques sont un exemple original d'une architecture autonome qui s'est développée sur une période de près de trois millénaires. Ces constructions sont particulièrement imposantes. Le temple de Ggantija a été construit en deux phases, et sa partie la plus ancienne laisse penser que les techniques du demi-encorbellement étaient déjà maîtrisées. Le monument de Tarxien, antérieur de plusieurs siècles aux premiers palais mycéniens, est immense (plus de 80 m de long) et complexe (trois temples, dont l'un compte sept chambres).
Un savoir-faire transmis
Les études réalisées sur les techniques d'extraction, de transport et d'assemblage des éléments mégalithiques montrent que les populations du néolithique et de l'âge du bronze savaient transmettre les connaissances acquises par l'observation de leur environnement et utiliser au mieux les moyens simples qui étaient à leur disposition. De plus, la diversification des tâches, coordonnées par un « architecte » possédant un plan d'ensemble et capable d'adapter les efforts d'un groupe parfois très important sans mettre en péril l'économie d'une communauté agricole ou pastorale, relève d'une organisation sociale évoluée. La sensibilité des bâtisseurs de mégalithes néolithiques transparaît dans la recherche esthétique des volumes, des gravures, et surtout dans l'intégration des monuments dans les paysages. Leurs capacités intellectuelles semblent dépasser largement l'imagination de ceux qui, aujourd'hui encore, attribuent à des interventions surnaturelles ou extraterrestres la réalisation de ces constructions.
L’interprétation des mégalithes
Lieux de légendes
Les mégalithes sont, le plus souvent, intégrés dans la culture populaire des régions où ils abondent. Les légendes traditionnelles font intervenir le merveilleux et le surnaturel pour expliquer leur présence, en leur conférant une image bénéfique ou diabolique selon les endroits, souvent associée à la présence de trésors cachés. Les Églises et les pouvoirs politiques ont cherché à neutraliser les pouvoirs qu'on leur attribuait, en les enfouissant dans leurs propres monuments ou en les y assimilant (monolithe intégré à la cathédrale du Mans, menhirs modifiés par l'adjonction d'une croix en Angleterre et en Bretagne). En fait, dans toute l'Europe occidentale, ils ont suscité la curiosité des historiens et des voyageurs depuis le xvie s.
Des monuments fascinants
Depuis la seconde moitié du xixe s., une littérature abondante, fournie par des préhistoriens, des érudits, des explorateurs, mais aussi des politiciens animés de l'idéologie qui entoure les Celtes, ainsi que des illuminés, voire des charlatans, leur a été consacrée. Une carte des dolmens de France a été réalisée par la commission de topographie des Gaules, et la commission des monuments mégalithiques publia un inventaire complet en 1880. De très précieuses descriptions de monuments se trouvent dans les actes des sociétés savantes de cette époque, comme le Bulletin de la société polymathique du Morbihan de Vannes.
Aujourd'hui, l'attrait exercé par les mégalithes se perpétue, qu'ils inspirent des études servies par les techniques de l'archéologie et les hypothèses de l'ethnologie ou qu'ils fascinent des processions de touristes, attirés par leur symbolisme énigmatique.
Signes de continuité
Un monument mégalithique – tombe, temple ou palais – est en général érigé sur un lieu privilégié de l'environnement, où il attire le regard. Signe du savoir-faire d'une communauté, il rend manifeste un certain pouvoir que l'étranger ignorant peut considérer comme magique et dissuasif : l'effet est d'autant plus impressionnant lorsqu'il s'agit de grandes structures soigneusement orientées, capables de complicité avec la course du soleil. Si les sépultures mégalithiques symbolisent une continuité solidaire avec les morts, elles prouvent ainsi la légitimité des constructeurs qui ont hérité des terres sur lesquelles reposent leurs ancêtres.
DOCUMENT larousse.fr LIEN
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OCÉAN ARCTIQUE |
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océan Arctique
Ensemble des mers situées dans la partie boréale du globe, limité par les côtes septentrionales de l'Asie, de l'Amérique et de l'Europe et par le cercle polaire arctique. Il se compose du bassin arctique et de mers annexes. L'ensemble formé par l'océan Arctique et la région continentale et insulaire (terres arctiques) située à l'intérieur du cercle polaire arctique constitue l'Arctique.
Le plus petit océan de la terre, élargissement de l'Atlantique, est une mer continentale aux limites clairement définies ; les pointes septentrionales de l'Atlantique et du Pacifique en constituent les annexes. Jadis isolé par le froid et les glaces, aujourd'hui parcouru par les avions, bordé de ports et de lignes maritimes, l'océan Arctique présente un intérêt tant économique que stratégique.
L'océan est dans un isolement relatif, plus marqué du côté pacifique (seuils insulaires des Aléoutiennes et des Kouriles ; détroit de Béring) que du côté atlantique (seuils entre le Groenland, l'Islande et les Féroé ; passage Groenland-Spitzberg). Les conséquences hydrologiques sont importantes : la dérive nord-pacifique se résout en tourbillons pour pénétrer dans le golfe d'Alaska et la mer de Béring ; le flux d'origine pacifique ne représente que 20 % de l'eau arctique. La dérive nord-atlantique s'engage plus aisément le long des côtes d'Eurasie et transmet son impulsion à l'ensemble du bassin. L'onde de marée est d'amplitude faible ; les courants qu'elle engendre sont modérés, sauf entre les îles
1. Un océan froid
1.1. Le bassin polaire
Les plates-formes continentales
Des plates-formes continentales, démesurées et monotones, occupent plus du tiers de la superficie de l'océan Arctique. La plus étendue se situe au nord de la Sibérie, où la mer des Tchouktches communique avec le plateau de la mer de Béring par un détroit peu profond (38 m). Les mers de Kara, des Laptev, de Sibérie orientale, des Tchouktches ont des fonds monotones, modelés par des processus fluvio-deltaïques, glaciels et, localement, glaciaires. Sur les côtes basses et marécageuses se succèdent les estuaires profonds (Ob, Ienisseï) et les larges deltas (Lena, Mackenzie). La plate-forme est plus étroite, plus accidentée, creusée de dépressions profondes en bordure des socles anciens et fracturés de l'archipel canadien, du Groenland et de la Scandinavie. Les rivages à falaises sont bordés de jardins d'écueils et profondément découpés par des fjords. La plate-forme nord-européenne présente un relief aussi accusé ; elle est semée d'îles ou creusée d'auges burinant profondément le sommet de la pente (fosses Voronina, Sviataïa Anna). Les îles de l'archipel canadien sont isolées par des chenaux, surcreusés par les glaciers à plus de 500 m (800 m dans le détroit de McClure). Dans l'ensemble, la topographie monotone s'explique par la régularité des structures (enfouissement des boucliers sous une épaisse couverture sédimentaire), la présence d'aplanissements (parages du détroit de Béring) et l'extension d'un manteau sédimentaire quaternaire enrichi par des apports glaciaires (moraines) ou deltaïques.
Le détroit de Béring a joué un rôle biogéographique notable : ouvert au Pliocène, il fut une voie de passage des faunes vers l'Atlantique ; mais, privé de son importance par un soulèvement survenu au milieu du Quaternaire, et donc asséché à diverses reprises (abaissement maximum de la mer : 140 m), il fut un pont continental assurant la libre circulation des espèces terrestres et des vagues de peuplement vers l'Amérique (Indiens, puis Esquimaux et Aléoutes il y a respectivement 27 000 et 10 000 ans).
Au-delà de la pente continentale, d'origine tectonique, les fonds marins comprennent des seuils et des bassins
des seuils
Ces ponts, jetés entre l'Asie et l'Amérique, forment les chaînes transarctiques : la chaîne Mendeleïev (ou Alpha, ou Fletcher, à proximité du Canada) entre 3 700 et 1 400 m (point culminant), montagne aséismique ; la chaîne Lomonossov, peu accidentée, parfois plate (sommet à 730 m), reste d'un fragment continental effondré ; elles sont séparées par la cuvette Makarov, dont les parties les plus plates, plaines de Sibérie (3 946 m) et de Wrangel (2 825 m), sont reliées par la passe d'Arlis, qui semble avoir été empruntée par les sédiments venus de la plate-forme sibérienne, ont contribué au remblaiement de la cuvette.
Des arcs insulaires (Aléoutiennes, Kouriles) sont produits par le plongement de la plaque pacifique sous les mers de Béring et d'Okhotsk.
des bassins
Le bassin prépacifique est morcelé par des protubérances à flancs raides et sommets plats (plateau de Beaufort, cap Tchouktche), qui tendent à isoler la cuvette canadienne (3 900 m) des cuvettes des Tchouktches et de Beaufort, lesquelles communiquent par des couloirs comme la passe Charlie ; la mer de Béring (4 420 m) lui est associée ; le bassin préatlantique est plus profond (la moitié supérieure à 4 000 m) et partagé en deux bassins occupés par d'étroites plaines abyssales (dites « du Fram », ou « eurasiatique » et « de Nansen »), qui sont séparées par une zone de reliefs heurtés, des crêtes et des pics aigus, creusés de dépressions comme celles du Fram (5 335 m), du Fedor Litke (5 449 m) et du Lena (plus de 3 000 m) ; cette dernière met en relation les bassins polaire et groenlandais, et joue un rôle hydrologique considérable. Leur soubassement basaltique est recouvert par plus de 1 000 m de sédiments terrigènes formant des plaines abyssales exiguës, bordées de plateaux marginaux et entaillées de grandes vallées sous-marines.
Ces montagnes sous-marines, soulignées par un groupement d'épicentres séismiques, sont parfois considérées comme les jalons d'une dorsale (de Gakkel, puis de Nansen plus au sud) qui serait le prolongement de la dorsale médio-atlantique. Une telle continuité n'est pas encore établie, mais il est certain que le bassin préatlantique possède une croûte de type océanique, à la différence des régions situées au-delà de la chaîne Lomonossov, qui est considérée comme la limite structurale d'un domaine stable au soubassement proche des boucliers précambriens. Le bassin prépacifique résulterait de l'affaissement d'une ancienne aire continentale, accompagné de l'accumulation d'une puissante série sédimentaire (12 km sous le cap Tchouktche) et d'une fracturation responsable de vastes épanchements volcaniques (chaîne Mendeleïev).
1.2. Le milieu arctique
Pour les mêmes raisons qu'au pôle Sud, l'apport calorique est limité ; toutefois, le froid n'y a pas la même rigueur, grâce au jeu de facteurs variés.
L'océan Arctique est largement et profondément ouvert sur l'Atlantique
L'océan est caractérisé par une zonation et un étagement des masses d'eau.
L'océan Arctique est largement et profondément ouvert sur l'Atlantique, qui lui transmet sa chaleur par l'intermédiaire des courants tempérés norvégien et mourman, déportés jusqu'aux parages du Spitzberg et de l'archipel de la Novaïa Zemlia (Nouvelle-Zemble). Pour des raisons topographiques, l'eau qui franchit le détroit de Béring est réduite à une couche mince et peu salée. La pénétration des eaux atlantiques a une double conséquence.
En surface, le contact avec les eaux polaires s'exprime sous la forme d'un front hydrologique net mais sinueux, comme entre l'Islande et le Spitzberg. Les eaux plus chaudes que l'air contribuent à la formation d'une zone dépressionnaire permanente mais mobile, où l'affrontement entre les masses d'air arctique et polaire donne naissance à des perturbations cycloniques qui transitent vers le nord-est, y apportant pluie, tempête et neige.
En profondeur, les eaux atlantiques plus salées, donc plus denses, plongent sous les eaux arctiques et pénètrent dans le bassin sous une double forme : à mi-profondeur (maximum : 1 000 m), une couche moyenne salée (35 ‰) et relativement chaude (entre 0 et 1 °C) longe le précontinent asiatique, puis, appauvrie en sels et oxygène, atteint le bassin prépacifique, où elle est animée d'un double tourbillon dont la branche la plus importante aboutit à la fosse du Lena, par laquelle elle passe en mer du Groenland ; une couche profonde, moyennement salée, un peu plus froide (– 0,3 °C à 3 000 m), formée en mer de Norvège, est par contre bloquée dans sa progression par la chaîne Lomonossov, qui n'est franchie qu'épisodiquement : aussi les eaux du fond du bassin prépacifique sont-elles un peu plus chaudes et empreintes d'un endémisme plus marqué qu'ailleurs, signes d'un confinement relatif.
La banquise
L'océan Arctique possède une importante couverture de glaces dont la formation est favorisée par la faible salinité des eaux superficielles.
La banquise (au rôle climatique important par son extension) n'a pas sur les masses d'air un pouvoir réfrigérant aussi grand que l'inlandsis antarctique : elle réfléchit seulement 61 % de la chaleur reçue. L'extension de la glace de mer est remarquable à cause des conditions favorables rencontrées, c'est-à-dire grâce à la présence d'une couche d'eau superficielle sensible à la congélation pour deux raisons : sa faible salinité (32 à 33 ‰ dans le centre, mais moins de 20 sur les bordures), qui résulte de l'afflux d'eau pacifique (46 %) et du débit des grands fleuves (50 %) ; sa stabilité verticale, puisqu'elle est séparée de la couche moyenne sous-jacente par une halocline qui interdit tout mouvement de descente à plus de 30 m.
L'atmosphère
Enfin, l'atmosphère n'a pas la luminosité de l'Antarctique, car elle est fréquemment enrichie en nuages et brouillards.
Au cours de la nuit polaire, un axe de hautes pressions réunit les anticyclones de rayonnement de Sibérie et du Canada : si le refroidissement est intense sur les continents, la chaleur extraite de l'océan se trouve retenue sous le couvert nuageux, où l'atmosphère se refroidit lentement. En été, les dépressions parviennent à se glisser jusqu'au pôle, où les hautes pressions se morcellent ; mais l'air humide (pluies et brouillards) ne bénéficie que partiellement de l'illumination continue. En conséquence, si les étés arctiques ont une fraîcheur océanique, le froid hivernal n'est pas excessif. Ce fait est illustré par la relative limitation des phénomènes glaciaires, exprimée par la faible importance des inlandsis (en dehors du Groenland), la rareté des icebergs et la minceur de la banquise. Au total, le milieu arctique est beaucoup moins inhumain que celui de l'Antarctique.
Ces considérations amènent à dresser un triple bilan, de l'eau, de la chaleur et de la glace.
bilan de l'eau
L'Arctique a un régime équilibré, puisqu'il en reçoit autant qu'il en perd. Dans ce régime, l'Atlantique intervient pour une grande part : s'il fournit 60 % d'eau, il en accueille près des deux tiers, sortant par le courant est-groenlandais, considéré comme l'émissaire de l'Arctique.
bilan de la chaleur
La déperdition (90 % par la banquise, sous la forme d'émission à grande longueur d'onde) est contrebalancée par un apport atmosphérique (pour un tiers) et surtout océanique. Donc, si la banquise n'existait pas, le refroidissement serait moins fort, d'autant que l'ennuagement devenu permanent diminuerait le rayonnement. Elle est l'élément déterminant de l'équilibre climatique régional.
bilan de la glace
Des bilans de masse dressés, il ressort que la banquise polaire a ses pertes annuelles compensées par une reconstitution lente mais régulière, surtout active dans le bassin prépacifique. Cette estimation demeure vraie pour une plus longue période. En dépit de l'intensification de la circulation cyclonique vers le pôle et du léger accroissement de température de l'eau atlantique affluente, observés depuis plusieurs décennies, la banquise ne régresse point. En effet, la portée de tels phénomènes se trouve largement restreinte par un refroidissement compensatoire de l'eau de surface. En outre, l'émiettement de la banquise qui en résulterait aurait pour conséquences une déperdition thermique accrue au contact de l'air et une reconstitution de la glace de mer. Les facteurs qui tendent à la destruction de la banquise créent les conditions de sa survie. Cependant, lors des glaciations pléistocènes, le tarissement des afflux fluviatile et pacifique (émersion du détroit de Béring) entraîna l'établissement d'une structure isohaline favorable à un brassage convectif contraire à la prise en glace. Mais on ignore encore l'amplitude de telles oscillations qui sont mises en évidence par l'étude des carottages.
2. Les régions arctiques
2.1. La marge littorale
C'est un domaine original où la mer se dénature en se dessalant, et où la limite terre-mer devient indistincte sous le tapis saisonnièrement alterné de la glace et de l'eau. Le climat très perturbé est caractérisé par l'abondance des précipitations estivales, la fréquence des tempêtes et la brutalité des sautes de température.
Les côtes
Les côtes offrent des aspects variés selon les saisons. En hiver, elles sont ourlées par une banquette côtière, amas compliqué de glace alimenté par les embruns, par le flot ou le tassement des congères. En été prédomine un paysage fluctuant de boue, d'eau et de glaçons. Les côtes rocheuses sont rares (fjords abandonnés par les glaciers, sauf au Groenland). Partout ailleurs prédominent les côtes basses, où les traces du modelé glaciaire pléistocène (alignement de moraines, dépôts de plages), déformées par le lent relèvement isostatique, sont retouchées par l'action des glaces (de mer notamment, sous la poussée desquelles les berges se plissent en cordons) et du puissant alluvionnement fluviatile. La boue, les glaces et les troncs d'arbre viennent s'accumuler en aval de plaines maritimes démesurées, faites de levées et de lagunes multiples, que les baleines blanches viennent visiter en été. Sur les immensités semi-aquatiques des deltas et estuaires, une abondante faune se réfugie, comme les phoques.
Les plates-formes flottantes
Les plates-formes flottantes sont rares (côtes nord de l'île d'Ellesmere et du Groenland) : la plus étendue, dite « Ward Hunt », n'a que 1 500 km2. Leur surface est ornée d'ondulations parallèles ; en aval, une ablation puissante détache de la falaise des icebergs et des îles de glace. Toutes les plates-formes (comme la Ward Hunt, qui perdit 600 km2 d'août 1961 à avril 1962) ont un bilan de masse négatif et sont des formes reliques datant du Pléistocène.
La banquise côtière
La banquise côtière est un mince dallage de glace (1 à 2 m), formé dès l'automne aux dépens d'une eau littorale dont la salinité descend fréquemment au-dessous de 25 ‰. La banquise, qui va depuis la banquette côtière jusqu'au-dessus des fonds inférieurs à 20 m, bloque les fjords groenlandais et une partie de l'archipel canadien et de la plate-forme sibérienne (500 km de large en mer de Laptev). Elle est fixe, car ancrée sur les îles et les stamoukhi (hummocks échoués). La surface, remarquablement lisse, peut être surmontée d'icebergs, venus s'y faire prendre au piège comme sur les côtes du Groenland ; de plus, sous l'effet de la marée, qui lui communique son oscillation, elle est affectée de crevasses (comme la crevasse dite « de marée », au contact de la banquette côtière) ou de trous, grâce auxquels Esquimaux et Aléoutes chassent le phoque et le morse. Au plein de l'été, elle disparaît (sauf en quelques fjords de la côte ouest du Groenland) avec le réchauffement des eaux côtières et la fusion des neiges et des glaces continentales : l'eau des flaques s'y infiltre, regèle et accroît le démantèlement de la banquise. La dérive littorale, les courants de vent et de marée (ils dépassent 10 km/h en certains passages de la mer de Kara) en entraînent alors les miettes, escortées d'apports fluviatiles variés et d'icebergs libérés mais traîtreusement cachés par des brouillards rendus persistants par l'intensité de l'évaporation. La turbidité est alors d'autant plus élevée que l'apport continental suscite une floraison planctonique (c'est la période d'une active pêche côtière à l'aide des kayaks ou des chalutiers) et que la force des houles entretient une constante remise en suspension des sédiments. C'est dans ces régions réputées pour la sévérité des conditions nautiques que, en dépit de la brièveté de la période navigable, on a tenté de forcer les passages dits « du Nord-Ouest » et « du Nord-Est » : les Soviétiques parvinrent à y établir la « Route maritime du Nord » grâce à une organisation technique et scientifique exemplaire.
2.2. La banquise dérivante (ou pack)
Les eaux comprises entre les banquises côtière et permanente sont couvertes par des glaces partiellement allogènes, formées en hiver de glaçons ayant survécu à la fusion et ressoudés par de la glace jeune. En été, le pack se fragmente en vastes champs de glaces, aux limites invisibles sur l'horizon, et en floes, radeaux longs de 1 à 10 km. Ils disparaissent presque totalement par fusion ou dérive.
Le pack eurasiatique et alaskien
Le pack eurasiatique et alaskien intéresse des régions de plates-formes où les courants de marée sont forts, et la dérive rendue complexe par l'intervention de circuits locaux moulés aux découpures des côtes. Les dépressions cycloniques, qui font se succéder effluves océaniques et souffles d'air glacé, agissent sur le déplacement et la densité d'un pack, dont l'extension varie d'une année à l'autre dans des proportions considérables, mais qui se trouve par contre cantonné à des latitudes très hautes (dans l'Atlantique du Nord-Est, le front hydrologique pénètre très fortement et libère de glaces la mer de Barents pendant la plus grande partie de l'année). Aussi les glaces flottantes vite fondues sont-elles rares en dehors de quelques icebergs (hauts de quelques mètres au plus) venus du Spitzberg ou de la terre François-Joseph. Pareillement, en mer de Béring orientale, la banquise ne dépasse pas la pointe de la presqu'île aléoute, et le retour des vents tièdes de sud-ouest libère les îles Pribilof dès mai, et le détroit de Béring en juin.
Le pack américain et est-asiatique
Le pack américain et est-asiatique, moins large mais plus dense, est exporté loin vers le sud grâce à des courants généraux peu perturbés par un précontinent étroit et plus profond. Le plus spectaculaire de ces courants de décharge est celui de l'est du Groenland, dont les eaux froides charrient des floes et des icebergs jusqu'à la hauteur de l'Islande à une vitesse variant de 0,1-0,4 (sur la plate-forme) à 0,7-1 km/h (sur les grands fonds). Au sud du cap Brewster, sous l'effet du courant d'Irminger, le pack s'effile, contourne la pointe du Groenland, puis remonte en baie de Baffin à une vitesse assez grande. Il en ressort par l'intermédiaire du courant du Labrador, qui draine des morceaux de pack arctique ayant franchi l'archipel canadien, et des icebergs qui vont porter leur menace saisonnière jusqu'aux abords de Terre-Neuve. Sur la côte pacifique de l'Asie, où le pack est autochtone et non alimenté par un émissaire arctique, la dérive atteint seulement Sakhaline, mais est cependant précédée par l'imposante escorte des glaces flottantes. Si les courants des marges occidentales des océans sont de grands transporteurs d'icebergs, il convient de souligner que ceux-ci ne représentent que le soixantième du volume du pack (cas de la mer du Labrador), et sont donc des phénomènes très localisés, qui n'ont pas l'importance de l'Antarctique.
Sur les eaux estivales dégagées de glaces, les perturbations atmosphériques provoquent un brassage actif des eaux de surface, qui s'accompagne d'un enrichissement en produits nutritifs alimentant un plancton presque exclusivement végétal (diatomées surtout), dont la prolifération grandit au fur et à mesure de la fusion de la banquise. Il est à l'origine d'une chaîne alimentaire de mollusques, crustacés et surtout de poissons (morue, haddock, flétan, hareng, saumon) et de mammifères marins (baleines, phoques), qui migrent vers le nord avec le retrait des glaces. Baleines et phoques, jadis abondants car protégés par la barrière du froid et des glaces, ont été pourchassés à outrance, et semblent, surtout pour la baleine franche boréale (Balœna mysticetus), en voie d'extinction.
2.3. La banquise permanente (ou pack)
La banquise permanente couvre la plus grande partie d'une vaste calotte (5 millions de kilomètres carrés) légèrement excentrée vers l'Amérique. Elle correspond aux régions les plus froides (moyennes d'été inférieures à 0 °C) et aux précipitations très médiocres : en hiver, les dépressions passent sur une banquise sans évaporation, où parviennent des vents continentaux secs ; en été, l'air plus humide ne peut être affecté d'aucune ascendance, car il est stabilisé à la base par refroidissement. La neige, peu abondante mais faite de petites aiguilles cinglantes, reste sans cohérence sur le sol, où les vents la modèlent en congères : en hiver, les rafales, qui ne dépassent que rarement 50 km/h, n'ont pas la violence des blizzards antarctiques ; en été, saison des calmes, la faiblesse et la variabilité des vents ne parviennent pas à chasser des brouillards épais de 100 à 200 m. Cette banquise (ou pack), qui ne peut fondre que partiellement, est donc formée d'une glace vieille de plusieurs années, épaisse de 2 à 3 m (en été) et de 3 à 4 m (en hiver). La perte superficielle (surtout par fusion) étant bien supérieure à l'apport neigeux, le pack connaît un renouvellement lent, à la manière d'un glacier continental : en été, par regel de l'eau de fusion infiltrée par les ouvertures ; en hiver par accrétion basale aux dépens de l'eau de mer superficielle.
À cette masse autochtone viennent se joindre des lambeaux de pack et des îles de glace comme celles que l'aviation américaine découvrit en 1946 en plein cœur du pack. Le déplacement de ces intrus, comme des bases scientifiques installées sur la banquise par les Soviétiques et les Américains, et des bateaux pris accidentellement (Jeannette) ou volontairement dans les glaces (Fram, Sedov) ont permis de comprendre le mouvement de rotation cyclonique de la banquise (à une vitesse variant entre 1 et 2 km par jour), mue par la dérive des eaux portantes, compliquée par des composantes de vents.
À cause de son âge, le pack est fait d'une glace solide, affectée cependant de fêlures provoquées par les mouvements différentiels de la dérive : elles sont rares au pôle, où la surface demeure plate, mais très fréquentes sur les bordures, où les collisions et les compressions aux fracas épouvantables engendrent un relief chaotique de crêtes et de murailles (hummocks ou toross), coupées de crevasses où les pionniers de la pénétration vers le pôle connurent un affreux calvaire. Les accumulations de glace les plus importantes sont situées au nord des îles, qui sont de véritables piliers sur lesquels elles viennent se bloquer. C'est dans ces régions que les ouvertures qui aèrent le pack (polynies ou leads) sont le plus étendues et le plus durables.
2.4. L'étude de la banquise
Aujourd’hui, l’Arctique fait l’objet, comme l’Antarctique, d’une surveillance attentive par les scientifiques, car les régions polaires jouent un rôle fondamental dans le système climatique mondial. L’eau stockée dans leurs énormes réserves de glace a des incidences considérables pour la planète entière. En raison de ses interactions avec l’océan et l’atmosphère, la banquise est très sensible aux changements climatiques ; le suivi de son état et de son évolution constitue donc un indicateur très précieux pour les prévisions des climatologues.
La fonte de la banquise en été
Depuis les années 1970, des satellites permettent d’observer et de contrôler l’étendue de la banquise et le volume des calottes glaciaires. D’année en année, la fonte de la banquise s’amplifie et son étendue, en été, ne cesse de se réduire. Alors que son étendue minimale était voisine de 6,5 millions de kilomètres carrés entre 1979 et 2000, elle a atteint, en 2012, le minimum record de 3,4 millions de kilomètres carrés, contre 4,2 millions de kilomètres carrés en 2007 et 4,52 millions de kilomètres carrés en 2008.
Ce recul spectaculaire de la banquise arctique, plus rapide que ne le prévoyaient les simulations climatiques, a été constaté aussi par la mission Tara-Damocles, dans le cadre de l’Année polaire internationale. Partie de Lorient en juillet 2006, la goélette Tara a dérivé dans les glaces arctiques pendant 507 jours, du 3 septembre 2006 au 21 janvier 2008, en parcourant plus de 5 000 kilomètres. La mission a permis d’observer non seulement le retrait de la banquise mais aussi d’autres phénomènes qui affectent celle-ci. La glace, en devenant plus fine, est devenue plus mobile et est donc entraînée plus facilement par les vents. Le bateau a ainsi été entraîné à une vitesse deux à trois plus rapide que ce qui avait été prévu. Alors qu’il devait dériver pendant deux ans, il est sorti de l’océan Arctique avec huit mois d’avance. Une autre constatation pu être établie : en vingt ans, l’épaisseur moyenne de la banquise a diminué de moitié, passant de 3 m à 1,5 m. Enfin, l’âge de la glace a diminué notablement, avec un recul très marqué des glaces pérennes.
3. Une région convoitée
L'importance stratégique de l'océan Arctique est apparue au cours de la Seconde Guerre mondiale et n'a cessé de croître avec le développement de l'aviation, des missiles et de la propulsion nucléaire sous-marine. L'analyse géopolitique de cette région doit tenir compte de caractéristiques très particulières : l'Arctique porte un océan fermé, autour duquel cinq États se font face, dont les deux plus grandes puissances militaires : la Russie (qui occupe près de la moitié de la surface terrestre arctique), les États-Unis, le Canada, le Danemark (Groenland) et la Norvège.
3.1. L'océan Arctique pendant la seconde Guerre mondiale
De 1941 à 1945, la route maritime du Nord allant d'Islande ou d'Écosse jusqu'à Mourmansk et à Arkhangelsk, en contournant le cap Nord, fut utilisée par les Anglo-Saxons pour venir en aide à l'U.R.S.S. Les convois subirent, surtout en 1942, de lourdes pertes du fait de la marine et de l'aviation allemandes basées en Norvège. Au total, 775 navires alliés (dont 78 furent coulés) transportèrent par la route de l'Arctique 4 300 000 t de matériel de guerre (sur les 17 millions de tonnes fournies au total par les Alliés).
3.2. Les « routes » arctiques
Les chenaux qui parcourent l'archipel du Grand Nord canadien constituent la voie de passage la plus courte entre le Pacifique et l'Atlantique. Mais la principale route navigable, le passage du Nord-Ouest, emprunte une voie entre les archipels canadiens et le continent américain. Côté russe, la route maritime du Nord-Est permet de relier Vladivostok à Mourmansk par le détroit, étroit et peu profond, de Béring, le seul passage entre l'Arctique et le Pacifique. Ces routes ne sont pourtant pas praticables en permanence : l'océan Arctique est en effet pris par les glaces pendant la majeure partie de l'année. En hiver, la banquise s'étend jusqu'aux terres continentales, et seule une partie des mers de Barents et de Kara ainsi qu'un étroit liseré côtier restent libres de glace.
Les puissants brise-glace permettent alors de naviguer dans cette zone. Russes et Américains se sont, en particulier, équipés de bâtiments à propulsion nucléaire (en 1977, le brise-glace soviétique Arctika parvenait jusqu'au Pôle), alors que les autres États qui disposent de droits territoriaux dans la zone arctique (ni la Suède ni la Finlande ne possèdent de débouchés maritimes sur l'Arctique) n'en sont pas dotés.
3.3. La route maritime du Nord-Est
La route maritime du Nord-Est joue un rôle économique majeur dans l'espace sibérien, qui se voit ainsi relié au Pacifique et à l'Europe. Elle est empruntée par des navires de minerais ou de gaz. Son influence pourrait grandir : pour relier les grands centres portuaires de l'Europe du Nord (notamment Rotterdam et Hambourg) aux grands centres économiques de l'est de l'Asie, chinois (Shanghai), japonais (Tokyo) et coréens (Pusan), elle pourrait devenir une route maritime concurrente de la route qui passe par le canal de Suez et traverse l'océan Indien, d'autant que de nombreux armateurs abandonnent le canal de Suez pour contourner l'Afrique par le cap de Bonne-Espérance. Cet itinéraire par l'océan Arctique permet de gagner un tiers de distance par rapport au trajet par le canal de Suez, d'où un temps de transport plus court (20 jours contre 30 jours par le canal de Suez). Cependant, plusieurs éléments réfrènent l'utilisation de cette route maritime du Nord-Est : l'incertitude quant aux nombre de jours où elle serait utilisable dans une année, la vitesse réduite, l'obligation de renforcer les coques et un passage délicat entre la mer de Kara et la mer des Laptev, au sud de la Severnaïa Zemlia (Terre du Nord), par le détroit de Sannikov, qui limite la capacité des navires à 4 000 EVP.
3.4. Les revendications territoriales
La situation géopolitique de l'Arctique est rendue complexe par l'association des facteurs d'ordre à la fois politique, juridique, commercial et militaire. Le Canada et la Russie considèrent, par exemple, que leurs territoires respectifs se prolongent du continent au Pôle, englobant ainsi la plus grande partie du bassin arctique. Les autorités canadiennes se fondent sur la juridiction exclusive qu'elles exercent sur les îles arctiques situées au nord du 60e parallèle et sur leurs plateaux continentaux. Cette position soulève de nombreuses difficultés : d'une part, la limite même de ce plateau est sujette à discussion et, d'autre part, cette prétention territoriale aurait pour conséquence d'attribuer au Canada les ressources, qui restent à découvrir, de la région. Les États-Unis ne reconnaissent pas les thèses russes et canadiennes : ils ne disposeraient alors que d'un petit territoire au nord de l'Alaska. Contrairement au Canada, les États-Unis soutiennent, en outre, que le passage du Nord-Ouest doit demeurer voie internationale. En janvier 1988, un accord américano-canadien stipulait que Washington, tout en refusant de reconnaître la souveraineté canadienne sur ces eaux, acceptait de soumettre la circulation de ses brise-glace au consentement préalable des autorités d'Ottawa. De son côté, le gouvernement russe justifie ses prétentions par un décret de 1926 (pris à la suite du débarquement par l'Arctique, en 1918, de troupes en guerre contre les bolcheviks) qui étend sa souveraineté jusqu'au pôle Nord. Les Russes affirment, en outre, que les surfaces de banquises permanentes doivent être considérées comme terres fermes (malgré l'exploit de l'Arctika), ce qui leur permet d'inclure la voie maritime du Nord dans les eaux soumises à leur juridiction. La Russie est, par ailleurs, en désaccord avec la Norvège à propos de la délimitation de leur frontière maritime, les deux États revendiquant l'archipel de Svalbard, situé dans la mer de Barents. Si, dans tous les autres océans, les contentieux en matière de souveraineté portent sur l'espace compris au-dessus des plateaux continentaux, l'océan Arctique fait l'objet de discussions sur l'ensemble de sa surface (on atteint en effet le pôle Nord à pied...).
Derrière ces conflits juridiques se profilent des enjeux économiques très importants, susceptibles d'attiser de graves tensions internationales (l'Arctique recèle vraisemblablement d'importantes ressources minérales et énergétiques). Il s'agit aussi pour les États concernés de contrôler les voies de passage des navires commerciaux d'un océan à l'autre.
3.5. Une zone de navigation privilégiée pour les sous-marins
Dans le domaine militaire, l'Arctique est devenu un espace stratégique. C'est, en effet, la seule région du monde où la Russie et les États-Unis ne sont séparés que d'une centaine de kilomètres, par le détroit de Béring. D'autre part, les eaux situées sous la banquise abritent aujourd'hui une grande partie de la flotte de sous-marins à propulsion nucléaire. Dissimulés sous des mètres de glaces et évoluant dans les grandes profondeurs océaniques, ces engins sont pratiquement indétectables. Les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (S.N.L.E.), dont les missiles ont une portée supérieure à 4 000 km, sont susceptibles d'atteindre, à partir du bassin arctique, la Chine, l'Europe, le Japon, les pays de l'ex-URSS ou les États-Unis. La représentation cartographique de la Terre en planisphère fausse la perception des distances qui séparent, par exemple, la Russie des États-Unis ; les cartes projetant le pôle Nord au centre de l'espace arctique rendent compte d'une distance deux fois moins importante entre New York et Moscou.
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